Page:Verne - L’Étoile du sud, Hetzel, 1884.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.
171
UN STEEPLE-CHASE AFRICAIN.

Par ce soleil éclatant dont les rayons tombaient presque à pic, dans cette plaine nue inondée d’une lumière éblouissante, à travers cette atmosphère nettoyée par une violente brise d’est qui régnait alors, il n’y avait pas le moindre doute à conserver.

Tous deux furent si ravis de cette découverte que leur premier mouvement fut de la célébrer par une véritable fantasia arabe. Cyprien poussa un hurrah joyeux, Lî un « hugh ! » qui avait la même signification. Puis, ils mirent leurs girafes au grand trot.

Évidemment, Matakit avait aperçu le Napolitain, qui commençait à gagner sur lui ; mais il ne pouvait voir son ancien maître et son camarade du Kopje, encore trop éloignés à la lisière de la plaine.

Aussi le jeune Cafre, à la vue de ce Pantalacci, qui n’était point homme à lui faire quartier, qui, sans nulle explication, le tuerait comme un chien, pressait-il le plus qu’il pouvait sa carriole traînée par l’autruche. La rapide bête dévorait l’espace, comme on dit. Elle le dévorait même si bien qu’elle buta tout à coup contre une grosse pierre. Il y eut une si violente secousse, que l’essieu de la carriole, fatigué par ce long et pénible voyage, cassa net. Aussitôt l’une des roues s’échappant de son axe, Matakit et son véhicule, l’un portant l’autre, s’étalèrent au beau milieu du chemin.

Le malheureux Cafre fut horriblement endommagé par sa chute. Mais la terreur qui le possédait résista même à un pareil choc, ou plutôt elle ne fit que redoubler. Bien convaincu que c’en était fait de lui, s’il se laissait rejoindre par ce cruel Napolitain, il se releva au plus vite, détela d’un tour de main son autruche, et, s’élançant à califourchon sur elle, il la remit au galop.

Alors commença un steeple-chase vertigineux, et tel que le monde n’en a jamais vu depuis les spectacles du cirque romain, où les courses d’autruches et de girafes faisaient souvent partie du programme.

En effet, pendant qu’Annibal Pantalacci poursuivait Matakit, Cyprien et Lî se lançaient sur les traces de l’un et de l’autre. N’avaient-ils pas intérêt à s’emparer de tous les deux, du jeune Cafre, pour en finir avec cette question du diamant volé, du misérable Napolitain, pour le châtier comme il méritait de l’être ?

Aussi les girafes, lancées à fond de train par leurs cavaliers, qui avaient vu l’accident, allaient-elles presque aussi vite que des chevaux pur sang, leurs longs cous tendus en avant, la bouche ouverte, les oreilles renversées, éperonnées, cravachées, forcées à fournir toute la vitesse qu’elles pouvaient développer.