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L’ÉTOILE DU SUD.

Il s’agissait maintenant de regagner, à force d’activité, tout le temps perdu dans les trois à quatre dernières journées du voyage. Matakit devait avoir fait du chemin à cette heure ! Annibal Pantalacci ne l’avait-il pas rejoint déjà ? Quoi qu’il en pût être, Cyprien était bien résolu à ne rien négliger pour arriver à son but.

Trois jours de marche avaient amené les cavaliers, ou, pour mieux dire, les « girafiers » en pays de plaine. Ils suivaient maintenant la rive droite d’un cours d’eau assez sinueux, qui coulait précisément dans la direction du nord, — sans doute un des affluents secondaires du Zambèze. Les girafes, décidément domptées, de plus, affaiblies par de longues étapes non moins que par la diète à laquelle Lî les soumettait systématiquement, se laissaient guider avec une entière facilité. Cyprien pouvait, maintenant, abandonner les longues rênes de corde de sa monture et la diriger rien que par la seule pression des genoux.

Aussi, débarrassé de cette préoccupation, prenait-il un véritable plaisir, au sortir des régions sauvages et désertes qu’il venait récemment de franchir, à reconnaître de tous côtés les traces d’une civilisation déjà avancée. C’étaient, de distance en distance, des champs de manioc ou de taro, très régulièrement aménagés, arrosés par un système de bambous ajustés bout à bout, qui apportaient l’eau de la rivière, des chemins larges et bien battus, — enfin un air général de prospérité ; puis, sur les collines qui bordaient l’horizon, des huttes blanches, en forme de ruches, abritant une population très clairsemée.

Pourtant, on sentait qu’on était encore à la limite du désert, ne fût-ce qu’au nombre extraordinaire d’animaux sauvages, ruminants ou autres, qui peuplaient cette plaine. Çà et là, des essaims innombrables de volatiles, de toute taille et de toute espèce, obscurcissaient l’air. On voyait des compagnies de gazelles ou d’antilopes qui traversaient la route ; parfois, un hippopotame monstrueux élevait sa tête hors de la rivière, ronflait bruyamment et replongeait sous les eaux avec un fracas de cataracte.

Tout entier à ce spectacle, Cyprien s’attendait assez peu à celui que le hasard lui réservait à l’un des tournants de la petite colline qu’il suivait avec son compagnon.

Ce n’était rien moins qu’Annibal Pantalacci, toujours à cheval, et pourchassant bride abattue Matakit en personne. Un mille au plus les séparait l’un de l’autre, mais quatre milles au moins les séparaient encore de Cyprien et du Chinois.