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TRAHISON.

Il n’en était pas de même du Napolitain. Pendant deux ou trois heures, il s’agita sous sa couverture, comme un homme obsédé de quelque idée fixe. Une tentation criminelle s’emparait encore de lui.

Enfin, n’y tenant plus, il se leva dans le plus grand silence, se rapprocha des chevaux, sella le sien ; puis, détachant Templar avec celui du Chinois, et les tirant par leur longe, il les emmena en laisse. L’herbe fine, dont le sol était tapissé, étouffait complètement le bruit des pas des trois animaux, qui se laissaient faire avec une résignation stupide, tout ahuris de ce réveil subit. Annibal Pantalacci les fit alors descendre jusqu’au fond du vallon, au flanc duquel avait été établi le lieu de halte, les attacha à un arbre et revint au campement. Ni l’un ni l’autre des deux dormeurs n’avait bougé.

Le Napolitain rassembla alors sa couverture, son rifle, ses munitions et quelques provisions de bouche ; puis, froidement, délibérément, il abandonna ses deux compagnons au milieu de ce désert.

L’idée qui l’avait obsédé depuis le coucher du soleil, c’est qu’en emmenant les deux chevaux, il allait mettre Cyprien et Lî hors d’état d’atteindre Matakit. C’était donc s’assurer la victoire. Le caractère odieux de cette trahison, la lâcheté qu’il y avait à dépouiller ainsi des compagnons, dont il n’avait jamais reçu que de bons offices, rien n’arrêta ce misérable. Il se mit en selle, et, tirant après lui les deux bêtes qui s’ébrouaient bruyamment à l’endroit où il les avait laissées, il s’éloigna au trot, sous la clarté de la lune, dont le disque apparaissait au-dessus des collines.

Cyprien et Lî dormaient toujours. À trois heures du matin seulement, le Chinois ouvrit les yeux et contempla les étoiles qui pâlissaient à l’horizon de l’est.

« Il est temps de faire le café ! » se dit-il.

Et, sans plus tarder, rejetant la couverture dont il était enveloppé, il se remit sur pieds et procéda à sa toilette matinale qu’il ne négligeait pas plus au désert qu’à la ville.

« Où est donc Pantalacci ? » se demanda-t-il tout à coup.

L’aube commençait à poindre, et les objets devenaient moins indistincts autour du campement.

« Les chevaux ne sont pas là, non plus ! se dit Lî. Est-ce que ce brave camarade aurait… »

Et, soupçonnant ce qui s’était passé, il courut vers les piquets auxquels il avait vu les chevaux attachés la veille au soir, fit le tour du campement et