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TRAHISON.

herbes autour du campement !… Maintenant, il était impossible d’en apercevoir même un seul.

Et c’est alors que l’on put mesurer l’étendue de la perte que l’expédition avait faite en la personne de Bardik ! Si cet intelligent serviteur eût été présent à son poste, il n’aurait pas manqué, lui qui connaissait les habitudes de la race bovine de l’Afrique australe, d’attacher à des arbres ou à des piquets ces bêtes qui s’étaient reposées tout un jour. D’ordinaire, en arrivant aux haltes, après une longue journée de marche, la précaution était inutile : les bœufs, exténués de fatigue, ne songeaient alors qu’à paître aux environs du wagon, puis ils se couchaient pour la nuit et ne s’écartaient guère au réveil de plus d’une centaine de mètres. Mais il n’en était pas de même, après une journée de repos et de bombance.

Évidemment, le premier soin de ces animaux, en se réveillant, avait été de chercher des herbes plus délicates que celles dont ils s’étaient rassasiés la veille. En humeur de vagabondage, ils s’étaient écartés peu à peu, avaient perdu de vue le campement, et, entraînés alors par cet instinct qui les rappelle à l’étable, il est probable qu’ils avaient, l’un suivant l’autre, tout simplement repris le chemin du Transvaal.

C’est là un désastre qui, pour n’être pas rare dans ces expéditions de la basse Afrique, n’en est pas moins des plus graves, car, sans attelage, le wagon devient inutile, et le wagon, pour le voyageur africain c’est à la fois la maison, le magasin, la forteresse.

Grand fut donc le désappointement de Cyprien et d’Annibal Pantalacci, quand, après une course acharnée de deux ou trois heures sur les traces des bœufs, ils durent reconnaître qu’il fallait renoncer à tout espoir de les rattraper.

La situation était singulièrement aggravée, et, une fois encore, il fallut tenir conseil.

Or, il n’y avait guère qu’une solution pratique à cette conjoncture : abandonner le wagon, se charger d’autant de provisions de bouche et de munitions qu’on pourrait en emporter, et continuer le voyage à cheval. Si l’on était favorisé par les circonstances, peut-être pourrait-on trouver promptement à négocier avec un chef cafre l’achat d’un nouvel attelage de bœufs contre un fusil ou des cartouches. Quant à Lî, il prendrait le cheval de James Hilton, qui, on le sait, n’avait plus de maître.

On se mit donc en devoir d’abattre des branches épineuses, de manière à en