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UN COMPLOT.

Un des éléphants, blessé sans doute et rendu furieux par sa blessure, venait de se précipiter vers lui. Les autres, ainsi que le Napolitain l’avait prévu, s’étaient hâtés de prendre la fuite avec un piétinement terrible, qui ébranlait le sol jusqu’à deux mille mètres à la ronde.

« Nous y voilà ! cria Lî, toujours cramponné à Cyprien. Au moment où l’animal va fondre sur vous, faites faire un écart à Templar !… Puis tournez autour de ce buisson et laissez-vous poursuivre par l’éléphant !… Je me charge du reste ! »

Cyprien n’eut que le temps d’exécuter presque machinalement ces instructions. La trompe haute, les yeux injectés de sang, la bouche ouverte, les défenses en avant, l’énorme pachyderme arrivait sur lui avec une incroyable rapidité.

Templar se conduisit en vieux routier. Obéissant avec une précision admirable à la pression des genoux de son cavalier, il exécuta juste à point un violent soubresaut sur la droite. Aussi, l’éléphant, lancé à fond de train, passa-t-il, sans l’atteindre, à la place même que le cheval et le cavalier venaient à peine de quitter.

Cependant, le Chinois, après avoir dégainé sans mot dire, s’était laissé glisser à terre, et, d’un mouvement rapide, se jetait derrière le buisson qu’il avait montré à son maître.

« Là !… ! Là !… Tournez autour de ce buisson !… Laissez-vous poursuivre ! » cria-t-il de nouveau.

L’éléphant revenait sur eux, plus furieux de n’avoir pas réussi dans sa première attaque. Cyprien, quoiqu’il ne vît pas bien le but de cette manœuvre indiquée par Lî, l’exécuta ponctuellement. Il tourna autour du buisson, suivi de l’animal haletant, et trompa deux fois encore son attaque par un écart soudain de son cheval. Mais cette tactique pouvait-elle réussir longtemps ? Lî espérait-il donc fatiguer l’animal ?

C’est ce que Cyprien se demandait, sans pouvoir trouver une réponse satisfaisante, quand, tout à coup, à sa grande surprise, l’éléphant s’abattit sur les genoux.

Lî, saisissant avec une adresse incomparable le moment propice, s’était glissé dans l’herbe jusque sous les pieds de l’animal, et, d’un seul coup du couteau de chasse, il lui avait coupé net ce tendon du talon, qu’on appelle, chez l’homme, tendon d’Achille.

C’est ainsi que procèdent ordinairement les Indous, pendant leurs chasses à l’éléphant, et le Chinois devait avoir souvent pratiqué cette manœuvre à Ceylan,