Page:Verne - L’Étoile du sud, Hetzel, 1884.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
AU NORD DU LIMPOPO.


avait une véritable importance : c’est que Matakit avait perdu plusieurs journées de marche, avant de pouvoir traverser la rivière, et qu’on était toujours sur sa trace.

En retournant au camp, Cyprien, Annibal Pantalacci et James Hilton trouvèrent Bardik et Lî fort alarmés.

Ils avaient, racontèrent-ils, reçu la visite d’un gros de guerriers cafres, d’une tribu autre que celle de Lopèpe, qui les avait d’abord cernés, puis soumis à un véritable interrogatoire. Que venaient-ils faire dans le pays ? N’était-ce pas pour espionner les Betchouanas, rassembler des informations sur leur compte, reconnaître leur nombre, leur force et leur armement ? Des étrangers avaient tort de s’engager dans une entreprise pareille ! Bien entendu, le grand roi Tonaïa n’avait rien à dire, tant qu’ils n’auraient pas pénétré sur son territoire ; mais il pourrait bien voir les choses d’un autre œil, s’ils s’avisaient d’y entrer.

Voilà quel avait été le sens général de leurs propos. Le Chinois n’en paraissait pas ému plus que de raison. Mais Bardik, si calme d’ordinaire, si plein de sang-froid en toute occasion, semblait être en proie à une terreur véritable, que Cyprien ne pouvait s’expliquer.

« Guerriers très méchants, disait-il, en roulant de gros yeux, guerriers qui détestent les blancs et leur « feront couic !… »

C’est l’expression reçue parmi tous les Cafres à demi civilisés, lorsqu’ils veulent exprimer l’idée d’une mort violente.

Que faire ? Convenait-il d’attribuer une grande importance à cet incident ? Non, sans doute. Ces guerriers quoiqu’au nombre d’une trentaine, d’après le récit de Bardik et du Chinois qu’ils avaient surpris sans armes, ne leur avaient fait aucun mal et n’avaient manifesté aucune velléité de pillage. Leurs menaces n’étaient sans doute que de vains propos, comme les sauvages sont assez portés à en tenir aux étrangers. Il suffirait de quelques politesses à l’adresse du grand chef Tonaïa, de quelques explications loyales sur les intentions qui amenaient les trois blancs dans le pays, pour dissiper tous ses soupçons, s’il en avait, et s’assurer sa bienveillance.

D’un commun accord, il fut convenu qu’on se remettrait en route. L’espoir de rejoindre bientôt Matakit et de lui reprendre le diamant volé faisait oublier toute autre préoccupation.