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L’ÉTOILE DU SUD.


rendre hommage à son joyau, il voyait presque un sacrilège dans les libres commentaires qu’on se permettait d’exprimer à son sujet.

Aussi, afin de réagir contre ces billevesées, autant que pour satisfaire son goût de ripaille, il résolut de donner un grand banquet en l’honneur de ce cher diamant, qu’il comptait bien convertir en espèces monnayées, — quoi qu’eût pu dire Cyprien, et quel que fût le désir de sa fille de le garder sous forme de gemme.

Telle est, hélas ! l’influence de l’estomac sur les opinions d’un grand nombre d’hommes, que l’annonce de ce repas suffit à modifier du jour au lendemain l’opinion publique dans le camp de Vandergaart. On vit les gens, qui s’étaient montrés les plus malveillants pour l’Étoile du Sud, changer subitement de gamme, dire qu’après tout cette pierre était bien innocente de la mauvaise influence qu’on lui attribuait, et solliciter humblement une invitation chez John Watkins.

On parlera longtemps de ce festin dans le bassin du Vaal. Ce jour-là il y avait quatre-vingts convives, attablés sous une tente, dressée contre l’un des côtés du parloir, dont le mur avait été abattu pour la circonstance. Un « baron royal, » ou rôti colossal, composé d’une échine de bœuf, occupait le centre de la table, flanqué de moutons entiers et de spécimens de tous les gibiers du pays. Des montagnes de légumes et de fruits, des tonneaux de bière et de vin, gerbés de distance en distance et mis en perce, complétaient l’ordonnance de ce repas véritablement pantagruélique.

L’Étoile du Sud, placée sur son socle, entourée de bougies allumées, présidait, derrière le dos de John Watkins, à la fête épulatoire, donnée en son honneur.

Le service était fait par une vingtaine de Cafres, enrôlés pour l’occasion, sous la direction de Matakit, qui s’était offert pour les commander, — avec la permission de son maître.

Il y avait là, outre la brigade de police que Mr. Watkins avait tenu à remercier ainsi de sa surveillance, tous les principaux personnages du camp et des environs, Mathys Pretorius, Nathan, James Hilton, Annibal Pantalacci, Friedel, Thomas Steel et cinquante autres.

Il n’était pas jusqu’aux animaux de la ferme, aux bœufs, aux chiens, et surtout aux autruches de miss Watkins, qui ne prissent leur part de la fête en venant mendier quelques bribes du festin.

Alice, placée en face de son père, au bas bout de la table, en faisait les