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réflexions sur la manie des voyages.

L’importante question devant le fait accompli, — question de vie ou de mort, — était donc pour Godfrey de savoir s’il se trouvait à proximité d’une terre quelconque. Dans quelle partie du Pacifique, il serait temps plus tard de raisonner à ce sujet. Avant tout, il faudrait songer, le jour venu, à quitter cette roche, qui, à sa partie supérieure, ne mesurait pas vingt pas de largeur et de longueur. Mais on n’abandonne un endroit que pour aller sur un autre. Et si cet autre n’existait pas, si le capitaine s’était trompé au milieu de ces brumes, si autour de ce brisant s’étendait une mer sans limites, si, à l’extrême portée de vue, le ciel et l’eau se confondaient circulairement sur le même horizon !

Les pensées du jeune naufragé se concentraient donc en ce point. Toute sa puissance de vision, il l’employait à chercher, au milieu de cette nuit noire, si quelque masse confuse, entassement de roches ou falaise, ne révélerait pas le voisinage d’une terre dans la partie est du récif.

Godfrey ne vit rien. Pas une senteur terrestre n’arrivait à son nez, pas une sensation de lumière à ses yeux, pas un bruit à ses oreilles. Aucun oiseau ne traversait cette ombre. Il semblait qu’autour de lui ce ne fût qu’un vaste désert d’eau.

Godfrey ne se dissimula pas qu’il y avait mille chances contre une pour qu’il fût perdu. Il ne s’agissait plus, maintenant, de faire tranquillement le tour du monde, mais de faire face à la mort. Aussi, avec calme, avec courage, sa pensée s’éleva-t-elle vers cette Providence, qui peut tout encore pour la plus faible de ses créatures, alors que cette créature ne peut plus rien par elle-même.

Pour ce qui dépendait de lui, Godfrey n’avait plus qu’à attendre le jour, à se résigner, si le salut était impossible, mais à tout tenter, au contraire, s’il y avait quelque chance de se sauver.

Calmé par la gravité même de ses réflexions, Godfrey s’était assis sur la roche. Il avait ôté une partie de ses vêtements imprégnés d’eau de mer, sa vareuse de laine, ses bottes alourdies, afin d’être prêt à se rejeter à la nage, s’il le fallait.

Cependant, était-il possible que personne n’eût survécu au naufrage ? Quoi ! pas un des hommes du Dream n’aurait été porté à terre ! Avaient-ils donc été tous entraînés dans cet irrésistible tourbillon que creuse un navire en sombrant ? Le dernier auquel Godfrey eut parlé, c’était le capitaine Turcotte, résolu à ne pas quitter son bâtiment, tant qu’un de ses matelots