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dix heures en chasse.

comme disent les paysans picards, dont j’aurais pu suivre les « randonnées », un mot de l’argot des chasseurs ! Au lieu d’être tranquillement dans mon cabinet, à lire, à écrire, ou même à ne rien faire !

J’allais sans but. Je prenais les sentiers battus, de préférence aux terres labourées. Je m’asseyais pendant dix minutes. Je marchais pendant vingt. Pas de maison dans un rayon de cinq kilomètres. Pas un clocher pointant au-dessus de l’horizon. C’était le désert. De temps en temps, un poteau menaçant les intrus de cette mystifiante inscription : Chasse réservée.

Réservée ? Pas au gibier, à coup sûr, puisqu’il n’y en avait point trace.

Enfin, j’allais toujours, rêvant, philosophant, le fusil en bandoulière, traînant la patte. À mon gré, le soleil ne s’abaissait pas assez vite sur l’horizon. Est-ce qu’un nouveau Josué, suspendant les lois de la cosmographie, l’avait arrêté dans sa course diurne pour le plus grand plaisir de mes enragés compagnons ? La nuit ne se ferait donc pas sur cette lamentable journée d’ouverture ?


IX


Mais il y a une limite à tout, — même aux terrains des chasses réservées. Un bois m’apparut, qui barrait la plaine. Encore un kilomètre, et je l’aurais atteint.

Je continuai donc à marcher, sans presser le pas. Le kilomètre fut franchi. J’arrivai à la lisière du bois.

Au loin, bien au loin, des détonations éclataient, comme le bouquet d’un feu d’artifice au 14 juillet.

« En massacrent-ils ! pensai-je. Bien certainement, ils n’en laisseront pas pour l’année prochaine ! »

Et alors, — ce que c’est que de nous ! — l’idée me vint que je serais peut-être plus heureux sous bois qu’en plaine. À la cime des arbres, il y aurait