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dix heures en chasse.

gibier !… Pourquoi ne pas l’interdire pendant un certain temps ?… Oui !…

Non !… Enfin, toute la litanie des chasseurs qui n’ont rien tué depuis l’aube !

Puis la dispute recommença entre Pontcloué et Matifat, à propos du perdreau « mitoyen » en contestation. Les autres s’en mêlèrent… Je crus qu’on allait en venir aux mains.

Enfin, une heure après, tous se remirent en marche, — bien lestés et bien « humectés », comme l’on dit ici. Peut-être, avant dîner, serait-on plus heureux ! Quel est le véritable chasseur qui ne conserve pas un peu d’espoir jusqu’à l’heure où il entend « rappeler » les perdreaux, cherchant à se réunir pour passer la nuit en famille.

Nous voilà repartis. Les chiens, presque aussi grognons que nous, avaient pris les devants. Leurs maîtres hurlaient après eux, avec ces intonations terribles, qui ressemblent aux commandements de la marine anglaise.

Je suivais d’un pas indécis. Je commençais à être éreinté. Mon carnier, si vide qu’il fût, me pesait sur les reins. Mon fusil, d’un poids invraisemblable, me faisait regretter ma canne. La poire à poudre, le sac à plomb, j’eusse volontiers confié tous ces objets embarrassants à l’un des petits paysans qui me suivaient d’un air moqueur, en me demandant combien j’en avais tué de « ché quat’patt’s ! » Mais je n’osai pas, par amour-propre.

Deux heures, deux mortelles heures s’écoulèrent encore. Nous avions bien quinze kilomètres dans les jambes. Ce qui me paraissait évident, c’est que, de toute cette excursion, je rapporterais plutôt une courbature qu’une demi-douzaine de cailles.

Tout à coup, quel frou-frou se fait entendre et me déconcerte ! Cette fois, c’est bien une compagnie de perdreaux, qui s’élève au-dessus d’un buisson.