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dix heures en chasse.

persés. Je faisais tout l’effort possible pour ne point les perdre de vue. En effet, une idée me tracassait : c’était que mes compagnons, naturellement farceurs, n’eussent l’envie de me jouer quelque tour qu’autorisait mon inexpérience.

Je me souvenais involontairement de cette plaisante histoire d’un novice, auquel ses amis firent tirer un lapin de carton, qui, assis sur son derrière dans un fourré, battait ironiquement du tambour ! Moi, je serais mort de honte, après une telle mystification !

Cependant, on errait un peu à l’aventure, au travers des éteules, en suivant les chiens, de manière à atteindre un rideau qui se profilait à trois ou quatre kilomètres, et dont la crête était bordée de petits arbres.

Quoi que je fisse, tous ces marcheurs, habitués au sol difficile des marécages et des terres labourées, allaient encore plus vite que moi, si bien que je ne tardai pas à être distancé. Brétignot lui-même, qui avait d’abord ralenti son pas pour ne point m’abandonner à mon triste sort, s’était remis en vitesse, voulant avoir sa part des premiers coups de fusil. Je ne t’en veux pas, ami Brétignot ! Ton instinct, plus fort que ton amitié, t’entraînait irrésistiblement !… Et bientôt, de mes compagnons, je ne vis plus que les têtes, comme autant d’as de pique, qui se détachaient au-dessus des buissons.

Quoi qu’il en soit, deux heures après avoir quitté l’auberge d’Hérissart, je n’avais pas encore entendu une seule détonation, — non, pas une seule ! Que de mauvaise humeur, que de récriminations, que de maugréements, cela promettait, si, au retour, les carniers étaient aussi plats qu’au départ !

Eh bien, le croira-t-on ? c’est à moi qu’échut la chance de tirer le premier coup. Dans quelles circonstances, j’aurai la honte de le dire.

L’avouerai-je ? Mon fusil n’était pas encore chargé. Imprévoyance de novice ? Non ! question d’amour-propre. Comme je craignais de me montrer très maladroit dans cette opération, j’avais voulu attendre d’être seul pour opérer.

Donc, en l’absence de témoins, j’ouvris ma poire à poudre, je versai dans le canon de gauche une charge qui fut maintenue par une simple bourre de papier ; puis, par dessus, j’introduisis une bonne mesure de plomb, — plus que moins. Qui sait ! un plomb de plus, peut-être ne revient-on pas bredouille ! Ensuite, je bourrai, je bourrai à crever ma culasse, et enfin, ô imprudence ! je coiffai de sa capsule la cheminée du canon que je venais de charger.