Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/351

Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
à bord de la « clorinda ».

voulaient me donner un pareil mari n’avaient vraiment pas eu une fameuse idée ! »

Et tout deux en convinrent.

En somme, ce fut une navigation charmante, qui n’eut que le défaut d’être trop courte. Et qui donc empêchait de la prolonger, de laisser le yawl courir ainsi au-devant du Rayon-Vert, d’aller le chercher en plein Atlantique ? Mais non ! Il était convenu qu’on irait à Staffa, et John Olduck prit ses dispositions pour atteindre avec le commencement du flot cet îlot célèbre entre toutes les Hébrides.

Vers huit heures, le premier déjeuner, composé de thé, de beurre et de sandwiches, fut servi dans la salle à manger de la Clorinda. Les convives, en belle humeur, fêtèrent gaiement la table du bord sans regret pour la table de l’auberge d’Iona. Les ingrats !

Lorsque miss Campbell fut remontée sur le pont, le yacht avait viré de bord et changé ses amures. Il revenait alors vers le superbe phare construit sur le roc de Skerryvore, qui élève à cent cinquante pieds au-dessus du niveau de la mer son feu de premier ordre. La brise ayant fraîchi, la Clorinda luttait alors contre le jusant sous ses grandes voiles blanches, mais gagnait peu vers Staffa. Et pourtant elle « coupait la plume », pour désigner à la manière écossaise la vitesse de sa marche.

Miss Campbell était à demi étendue, à l’arrière, sur un de ces épais coussins de grosse toile qui sont en usage à bord des bateaux de plaisance d’origine britannique. Elle s’enivrait de cette rapidité que ne troublaient ni les cahots d’une route, ni les trépidations d’un railway, — rapidité de patineur, emporté à la surface d’un lac glacé. Rien de plus gracieux à voir, sur ces eaux à peine écumantes, que cette élégante Clorinda, légèrement inclinée, montant et rabaissant à la lame. Parfois, elle semblait planer dans l’air, comme un immense oiseau que soulèvent ses puissantes ailes.

Cette mer, couverte par les grandes Hébrides du nord et du sud, abritée d’une côte à l’est, c’était comme un bassin intérieur, dont la brise n’avait pu encore troubler les eaux.

Le yacht courait obliquement vers l’île de Staffa, gros rocher isolé au large de l’île de Mull, qui ne s’élève pas à plus de cent pieds au-dessus des hautes mers. On pouvait croire que c’était lui qui se déplaçait, montrant tantôt ses falaises basaltiques de l’ouest, tantôt l’âpre amoncellement des rocs de sa côte orientale. Par suite d’une illusion d’optique, il semblait pivoter sur sa