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çà et là quelques sites. Miss Campbell le regardait peindre, et le temps s’écoulait ainsi.

Les 26, 27, 28, 29 août se suivirent sans un instant d’ennui. Cette vie sauvage convenait à cette île sauvage, dont la mer battait sans relâche les roches désolées.

Miss Campbell, heureuse d’avoir fui le monde curieux, bavard, inquisiteur, des villes de bain, sortait, ainsi qu’elle eût fait dans le parc d’Helensburgh, avec le « rokelay » qui l’enveloppait comme une mantille, coiffée de l’unique « snod », ce ruban mêlé aux cheveux, qui va si bien aux jeunes Écossaises. Olivier Sinclair ne se lassait pas d’admirer sa grâce, le charme de sa personne, cette attirance, qui produisait sur lui un effet dont il se rendait très bien compte, d’ailleurs. Souvent tous deux allaient errer, causant, regardant, rêvant, jusqu’aux extrêmes grèves de l’île, et foulaient les varechs du dernier relais de la mer. Devant eux s’enlevaient, par bandes, ces plongeons écossais, ces « tamnie-nories », dont ils troublaient la solitude, ces « pictarnies » à l’affût des petits poissons apportés par les remous du ressac, et ces fous de Bassan, noirs de plumage, blancs du bout des ailes, jaunes de la tête et du cou, qui représentent plus spécialement la classe des palmipèdes dans l’ornithologie des Hébrides.

Puis, le soir venu, après le coucher de ce soleil que quelques brumes voilaient toujours, quel charme pour miss Campbell et les siens de passer ensemble, sur quelque grève déserte, les premières heures de la nuit ! Les étoiles se levaient à l’horizon, et avec elles revenaient tous les souvenirs des poèmes d’Ossian. Au milieu du profond silence, miss Campbell et Olivier Sinclair entendaient les deux frères réciter alternativement les strophes du vieux barde, l’infortuné fils de Fingal[1].

« Étoile, compagne de la nuit, dont la tête sort brillante des nuages du couchant, et qui imprimes tes pas majestueux sur l’azur du firmament, que regardes-tu dans la plaine ?

« Les vents orageux du jour se taisent ; les vagues apaisées rampent au pied du rocher ; les moucherons du soir, rapidement portés sur leurs ailes légères, remplissent de leur bourdonnement le silence des cieux.

  1. Cette poésie a été admirablement refaite par Alfred de Musset dans l’évocation si connue :

    Pâle étoile du soir, messagère lointaine,
    Dont le front sort brillant des voiles du couchant…

    Que regardes-tu dans la plaine ?