Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
helena cambell.

sait pour une Écossaise de cœur et d’âme. Elle eût donné le pas au plus infime Sawney sur le plus important des John Bull. Sa fibre patriotique vibrait comme la corde d’une harpe, quand la voix d’un montagnard lui jetait à travers la campagne quelque national pibroch des Highlands.

De Maistre a dit : « Il y a, en nous, deux êtres : moi et l’autre. »

Le « moi » de miss Campbell, c’était l’être sérieux, réfléchi, envisageant la vie plus au point de vue de ses devoirs que de ses droits.

L’« autre », c’était l’être romanesque, un peu enclin aux superstitions, aimant les récits merveilleux qui éclosent si naturellement dans le pays de Fingal ; quelque peu parent des Lindamires, ces adorables héroïnes des romans de chevalerie, il courait les glens environnants pour entendre la « cornemuse de Strathdearne », ainsi que les Highlanders appellent le vent qui souffle à travers les allées solitaires.

Le frère Sam et le frère Sib aimaient également le « moi » et l’ « autre » de miss Campbell ; mais il faut avouer, cependant, que si celui-là les charmait par sa raison, celui-ci n’était pas sans les dérouter parfois avec ses réparties inattendues, ses échappées capricieuses au milieu de l’azur, ses chevauchées subites dans le pays des rêves.

Et n’était-ce pas lui qui, à la proposition des deux frères, venait défaire une réponse si bizarre ?

« Me marier ! aurait dit « moi ». Épouser monsieur Ursiclos !… Nous verrons cela… nous en reparlerons !

— Jamais… tant que je n’aurai pas vu le Rayon-Vert ! » avait répondu « l’autre ».

Les frères Melvill se regardaient sans comprendre, et, pendant que miss Campbell s’installait sur le grand fauteuil gothique dans l’embrasure de la fenêtre :

« Qu’entend-elle par le Rayon-Vert ? demanda le frère Sam.

— Et pourquoi veut-elle voir ce rayon ? » répondit le frère Sib.

Pourquoi ? On va le savoir.