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éducation d’un indigène du pacifique.

extrême de Dream-Bay, lorsqu’ils aperçurent sous le vent une innombrable quantité de petits îlots mobiles, que la marée montante poussait doucement vers le littoral. C’était comme une sorte d’archipel flottant, à la surface duquel se promenaient ou voletaient quelques-uns de ces oiseaux de mer à vaste envergure, que l’on désigne parfois sous le nom d’éperviers marins.

Qu’étaient donc ces masses, qui voguaient de conserve, s’élevant ou s’abaissant à l’ondulation des lames ?

Godfrey ne savait que penser, lorsque Carèfinotu se jeta à plat ventre ; puis, ramassant sa tête dans ses épaules, repliant sous lui ses bras et ses jambes, il se mit à imiter les mouvements d’un animal qui rampe lentement sur le sol.

Godfrey le regardait, sans rien comprendre à cette bizarre gymnastique. Puis, tout à coup :

« Des tortues ! » s’écria-t-il.

Carèfinotu ne s’était point trompé. Il y avait là, sur un espace d’un mille carré, des myriades de tortues qui nageaient à fleur d’eau. Cent brasses avant d’atteindre le littoral, la plupart disparurent en plongeant, et les éperviers, auxquels le point d’appui vint à manquer, s’élevèrent dans l’air en décrivant de larges spirales. Mais, très heureusement, une centaine de ces amphibies ne tardèrent pas à s’échouer au rivage.

Godfrey et le noir eurent vite fait de courir sur la grève au devant de ce gibier marin, dont chaque pièce mesurait au moins trois à quatre pieds de diamètre. Or, le seul moyen d’empêcher ces tortues de regagner la mer, c’était de les retourner sur le dos ; ce fut donc à cette rude besogne que Godfrey et Carèfinotu s’occupèrent, non sans grande fatigue.

Les jours suivants furent consacrés à recueillir tout ce butin. La chair de tortue, qui est excellente fraîche ou conservée, pouvait être gardée sous ces deux formes. En prévision de l’hiver, Godfrey en fit saler la plus grande partie, de manière à pouvoir s’en servir pour les besoins de chaque jour. Mais, pendant quelque temps, il y eut sur la table certains bouillons de tortue, dont Tartelett ne fut pas seul à se régaler.

À part cet incident, la monotonie de l’existence ne fut plus troublée en rien. Chaque jour, les mêmes heures étaient consacrées aux mêmes travaux. Cette vie ne serait-elle pas plus triste encore, lorsque la saison d’hiver obligerait Godfrey et ses compagnons à se renfermer dans Will-Tree ? Godfrey n’y songeait pas sans une certaine anxiété. Mais qu’y faire ?