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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

cun avait repris de soi-même la place que le hasard ou sa volonté lui avait assignée le matin. Aucune contestation ne s’était élevée, tant l’idée de propriété naît aisément parmi les hommes.

Pour la troisième fois, au milieu d’un plus nombreux concours de population, elle suivit la rue si fatale au baronnet. En arrivant sur le théâtre de son accident, celui-ci jeta un coup d’œil oblique sur la boutique où il avait trouvé secours. Précisément, l’opticien était sur sa porte, comme tous les autres marchands, ses confrères. Lui aussi, il avait reconnu son client occasionnel. Et même, il le suivit d’un regard, dans lequel Hamilton crut lire — mais quelle idée ! — comme une expression de blâme méprisant.

Vers le haut de la rue, on tourna à gauche, et l’on continua de s’élever sur les flancs de la colline. Bientôt les dernières maisons furent dépassées. Quelques centaines de mètres plus loin, la route commençait à côtoyer un torrent aux capricieux méandres. Ses rives délicieuses et changeantes furent néanmoins dédaignées par la plupart de ces touristes trop alignés. Un site qui ne figurait pas sur le programme ne comptait pas. Disons mieux, il n’existait pas.

Après une marche d’un demi-mille, la route parut tout à coup fermée par une énorme barrière de rochers, du haut desquels l’eau du torrent se précipitait en cascade. Sans altérer son admirable alignement, la colonne évoluant à droite, continua de remonter la pente.

Bien qu’on fût à l’heure la plus chaude de la journée, la température demeurait supportable. Dans le ravin suivi par les promeneurs, les arbres abondaient. Cèdres, noyers, peupliers, châtaigniers, hêtres, répandaient leur ombre bienfaisante.

L’ascension durait depuis une heure, quand l’horizon s’élargit tout à coup. À un brusque tournant, la route déboucha à flanc de coteau, dominant une vaste vallée, en laquelle se continuait le ravin agrandi.

Thompson fit un signe, et les touristes formèrent de nouveau