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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

j’ose le dire ! Quand un Hollandais veut être compris, monsieur, sachez-le, il n’a qu’à rester chez lui ! »

Un fou rire courut comme un tonnerre parmi les passagers, gagna les officiers, se répandit parmi l’équipage, descendit jusqu’au fond de la cale. Pendant deux minutes, le navire entier fut secoué par une gaieté peu charitable, mais irrésistible.

Quant à Thompson, laissant là son ennemi définitivement terrassé, il remonta sur le spardeck et se promena au milieu de ses passagers, en s’épongeant le front d’un air important et glorieux.

Le rire général ne s’était pas encore éteint, quand, à midi, la cloche annonça le déjeuner.

Thompson aussitôt pensa à Tigg, que l’incident Piperboom lui avait fait oublier. Si on voulait le voir renoncer à ses idées de suicide, on devait faire en sorte qu’il fût entièrement satisfait, et le bien placer à table était le soin du moment.

Mais ce que vit Thompson le rassura. L’histoire de Tigg portait déjà ses fruits. Des âmes charitables s’intéressaient au désespéré. C’est escorté des deux sœurs Blockhead que Tigg se dirigeait vers la salle à manger. C’est entre elles qu’à table il s’assit. Et ce fut une lutte à qui glisserait un coussin sous ses pieds, à qui lui couperait son pain, lui passerait les plus friands morceaux. Elles déployaient un zèle véritablement évangélique, et ne négligeaient rien pour lui faire reprendre goût à la vie… et au mariage.

Thompson s’assit au milieu de la table, le capitaine Pip en face de lui. À leurs côtés, lady Heilbuth, lady Hamilton, et deux dames considérables.

Les autres passagers s’étaient casés à leur guise, au petit bonheur ou au gré de leurs sympathies. Robert, discrètement relégué au bout de la table, se trouva par hasard entre Roger de Sorgues et Saunders, non loin de la famille Lindsay. Il ne se plaignit pas de ce hasard.

Le commencement du repas se fit en silence. Mais, dès que le