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PREMIER CONTACT.

« Monsieur, dit-il d’un ton sec, bien que vous parliez un incompréhensible jargon, je saisis parfaitement votre pensée. Vous en voulez à ce programme. Vous lui reprochez quelque chose. Était-ce cependant une raison pour le mettre en cet état ? Fi ! monsieur, ces manières ne sont pas d’un gentleman.

Piperboom n’objecta rien contre cette proposition. Toute sa vie concentrée dans les oreilles, il s’épuisait en efforts surhumains pour arriver à comprendre. Mais l’angoisse de son regard disait assez qu’il en perdait l’espoir.

Thompson triompha de l’accablement de son adversaire. Audacieusement, il fit en avant deux pas que Piperboom fit en arrière.

— Et que lui reprochez-vous, monsieur, à ce programme ? reprit-il d’une voix plus aiguë. Êtes-vous mécontent de votre cabine ? Vous plaignez-vous de la table ? Quelqu’un vous a-t-il manqué ? Parlez ! mais parlez donc !… Non ! ce n’est rien de tout cela ? Alors, d’où vient votre colère ? Tout simplement de ce que vous ne trouvez pas d’interprète !

Thompson prononça ces derniers mots avec un mépris non dissimulé. Il était admirable ainsi, se répandant en paroles violentes, en gestes enfiévrés, repoussant toujours son adversaire visiblement dompté. Les yeux agrandis, les bras tombants, celui-ci écoutait, le malheureux, ahuri, éperdu.

Les passagers, formant cercle autour des belligérants, s’intéressaient à cette scène bruyante. Les sourires naissaient sur leurs lèvres.

— Mais est-ce ma faute ? s’exclama Thompson en prenant le ciel à témoin. Quoi ? Comment ? Vous dites ? Le programme annonce un interprète parlant toutes les langues ?… Oui, cela y est en toutes lettres… Eh bien ! quelqu’un se plaint-il ?

Et Thompson chercha autour de lui d’un air triomphant.

— Non ! il n’y a que vous ! Oui, monsieur, toutes les langues, mais pas le hollandais, naturellement ! Ce n’est pas une langue, le hollandais. C’est un dialecte, un patois, tout au plus, monsieur,