Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
PREMIER CONTACT.

d’années, brun, les cheveux frisés, la barbe en pointe, au demeurant, fort bien de sa personne.

— Mais, interrogea miss Clarck, qu’est-ce donc que ce club des suicidés ?

— La charmante miss Clarck, en sa qualité d’Américaine, ne peut en effet connaître cela. Le club des suicidés est une institution éminemment anglaise, j’ose le dire, répondit Thompson avec un évident amour-propre. Ce club n’est composé que de gens ayant assez de l’existence. Qu’ils aient eu à subir des chagrins exceptionnels, ou qu’ils en soient venus là par simple ennui, tous ses membres sont au bord du suicide. Leurs conversations roulent sur ce sujet, et leur temps se passe à chercher des manières originales d’en finir avec la vie. Nul doute que ce Mr. Tigg ne compte sur les incidents du voyage pour se procurer une mort émouvante et rare.

— Pauvre garçon ! dirent à la fois les deux sœurs, dont les regards se portèrent sur le désespéré.

— Ah mais ! s’écria Thompson qui semblait beaucoup moins ému, on y mettra bon ordre. Un suicide ici, voilà qui serait gai, j’ose le dire ! Permettez-moi de vous quitter, Mrs. Lindsay. Je veux répandre la nouvelle, afin qu’on ait l’œil sur cet intéressant passager.

— Quel homme aimable, que ce Mr. Thompson ! dit en riant Dolly, quand l’exubérant manager se fut éloigné. Il ne peut prononcer votre nom, sans y accoler quelque épithète flatteuse. C’est la jolie miss Dolly Clarck par-ci, la délicieuse Mrs. Alice Lindsay par-là. Il ne tarit pas.

— Petite folle ! dit Alice avec une indulgente sévérité.

— Mère grondeuse ! répliqua Dolly avec un bon sourire.

Cependant, les uns après les autres, tous les touristes avaient envahi le spardeck.

Désireux de se renseigner autant que possible sur les compagnons de route que le hasard lui imposait, Robert s’était emparé d’un rocking-chair, et amusait ses yeux du spectacle, tout en consultant la liste des passagers.