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PREMIER CONTACT.

Sa compagne était une jeune fille de dix-neuf à vingt ans, sa sœur, à en juger par une évidente ressemblance.

Quant au gentleman qui complétait le groupe, il n’inspirait pas la sympathie à première vue. Petit, maigre, moustaches tombantes, nez busqué, regard insaisissable de deux yeux fureteurs, tout de lui déplut à Robert.

— Au reste, que m’importe ! se dit-il.

Il ne put cependant en détourner aussitôt son attention. Une involontaire association d’idées lui fit, à la vue de cet antipathique personnage, évoquer le fumeur impatient qui, la veille, l’avait contraint à la retraite.

— Quelque mari jaloux, pensa Robert en haussant les épaules.

Juste à ce moment, le vent, qui depuis le matin montrait une tendance à fraîchir, souffla en subite et courte rafale. Le journal que lisait la jeune femme lui fut arraché des mains, et partit comme une flèche vers la mer. Robert s’élança à la poursuite du fugitif, eut le bonheur de le saisir au moment où il allait disparaître pour jamais, et s’empressa de le rendre à sa charmante voisine, qui le remercia par un gracieux sourire.

Robert, ce léger service rendu, se retirait discrètement, quand Thompson s’interposa. Mot inexact. C’est « précipita » qu’il faudrait dire.

— Bravo ! monsieur le Professeur, bravo ! s’écria-t-il. Mrs. Lindsay, miss Clarck, Mr. Lindsay, permettez-moi de vous présenter M. Robert Morgand, professeur à l’Université de France, qui a eu l’extrême bonté de bien vouloir consentir à remplir parmi nous le rôle ingrat d’interprète, ce qui vous prouvera une fois de plus — si toutefois cette preuve pouvait être utile ! — que l’Agence ne recule devant rien pour assurer le plaisir de ses voyageurs !

Thompson était superbe en débitant sa tirade, superbe d’audace et de conviction. Quant à Robert, il se sentait au contraire fort embarrassé de sa personne. Par son silence, il se rendait complice du mensonge. Mais, d’autre part, pourquoi faire un