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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Les confidences de son maître n’étant jamais bien longues, Artimon crut en être quitte ainsi. Il jugea donc pouvoir se permettre un mouvement. Mais la voix du capitaine le cloua sur place. Il ricanait, maintenant, en récitant les mentions du prospectus :

— « Superbe steamer ». Ah ! ah ! ah ! « de 2500 tonneaux ». 2500 tonneaux, ça ?

Une voix caverneuse s’éleva à deux pas de lui :

— Des bordelaises, commandant !

Le capitaine méprisa cette interruption.

— « Et 3000 chevaux », continua-t-il. Quel damné aplomb, monsieur !

— Des poneys, commandant, 3000 petits poneys, » prononça la même voix.

Cette fois, le capitaine, ayant achevé, daigna entendre. Lançant un regard irrité à l’audacieux interrupteur, il s’éloigna, tandis que son passif confident, revenu à son rôle de chien, s’incrustait dans son sillage.

Saunders, car tel était l’impertinent commentateur, tout en regardant s’éloigner le capitaine, s’abandonna à une gaieté qui, pour ne pas se traduire à la manière ordinaire, n’en devait pas moins être violente, à en juger par les secousses dont grinçaient ses articulations.

Après le premier déjeuner, le spardeck commença à s’émailler de passagers, certains se livrant aux douceurs de la promenade, d’autres assis en groupes de causeurs.

Un de ces groupes attira bientôt particulièrement l’attention de Robert. Assises loin de lui vers l’avant du spardeck, trois personnes, dont deux femmes, le composaient. Dans l’une de celles-ci, en train de lire alors le dernier numéro du Times, il reconnut la douce vision de la veille et sa voisine de cabine.

Mariée ou veuve, elle était femme à coup sûr, et paraissait âgée de vingt-deux à vingt-trois ans. D’ailleurs, il avait eu raison de la juger charmante, et le soleil se montrait aussi flatteur pour elle que les lumières.