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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

tortures et leur échapperaient par la mort. Mal remis encore de leur fièvre, à peine entrés en convalescence, la force leur manqua dès le début. Déjà, le matin, ils avaient éprouvé la plus grande peine à faire l’étape, et ils s’étaient laissés tomber comme des masses au moment de la sieste. Mais, l’après-midi, ce fut bien autre chose. Leurs membres engourdis refusèrent tout service, et au bout de quelques kilomètres, il leur devint impossible de faire un pas de plus.

À partir de cet instant, un martyre incessant commença pour eux et pour leurs compagnons. Tombant presque à chaque pas, se relevant pour retomber aussitôt, ils étaient traînés par le reste de la colonne. Le soir, au moment de la halte définitive, ils ressemblaient plus à des cadavres qu’à des créatures vivantes, et nul ne douta que le lendemain ne fût leur dernier jour.

Fort heureusement, les autres naufragés supportaient mieux l’épreuve.

En tête, ainsi qu’il a été dit, s’avançait le capitaine Pip, un peu désorienté au milieu de ces dunes semblables à des vagues qu’un navire n’aurait pu entr’ouvrir sous son étrave. Le capitaine espérait-il toujours ? C’était probable, car un caractère de cette trempe ne saurait, dans aucune circonstance, être accessible au désespoir. Son visage, aussi fermé et froid que de coutume, ne donnait d’ailleurs aucune indication à cet égard. Au surplus, il n’en était pas besoin. Son aspect eut suffi à gonfler de courage le cœur du plus lâche.

La plaie du coup de matraque avait séché toute seule au soleil. Du sang, qui d’abord en avait abondamment coulé, la moustache, la poitrine et l’épaule étaient devenues rougeâtres. Certains eussent pu avoir l’air terrible ainsi. Mais telle n’était pas la caractéristique du capitaine, dont tout l’être ne disait que l’invincible volonté. Le premier de ses marins, il marchait d’un pas ferme comme son âme, et, rien qu’à le voir, on se sentait gagné par son énergie et son espérance tenace.

Depuis son dernier dialogue avec le cheik, il n’avait pas pro-