Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/490

Cette page a été validée par deux contributeurs.
462
L’AGENCE THOMPSON AND Co.

elle avait été à la place du capitaine Pip. Vers huit heures du matin, celui-ci, avec une joie désordonnée qu’il refoula soigneusement, avait vu revenir Artimon, dont le retour passa aussi inaperçu que le départ.

D’ailleurs, Artimon était loin d’être une bête. Au lieu d’accourir au grand galop comme un fou, il avait longtemps rodé autour du camp sans avoir l’air de rien, avant de s’y glisser cauteleusement. Pourquoi les Maures se seraient-ils inquiétés de ce toutou en train de faire aux alentours une petite promenade matinale ?

Le capitaine saisit avidement le chien dans ses bras et, sous le coup de l’émotion qui lui gonflait le cœur, gratifia l’intelligent animal de cette même caresse dont il l’avait réconforté au départ, et à laquelle jusqu’ici il ne l’avait pas habitué. D’un coup d’œil, il avait constaté la disparition du billet, parvenu par conséquent à son adresse, et il avait tiré de ce fait des conclusions favorables quant à l’issue de l’aventure.

Une réflexion pourtant gâta bientôt sa joie. Parti à une heure et revenu à huit heures du matin, Artimon avait donc mis sept heures à franchir, aller et retour, la distance séparant les naufragés de Robert Morgand. Celui-ci, après un jour et demi de voyage, était donc éloigné de trente kilomètres tout au plus. Il y avait là un mystère bien propre à tracasser l’âme la mieux équilibrée, mystère dont le capitaine eut soin de ne pas entretenir ses compagnons.

Ceux-ci, peu à peu réconfortés, retrouvaient lentement l’espoir que l’âme humaine n’abandonne qu’avec la vie, et les journées du 12 et du 13 juillet passèrent assez facilement.

Ces journées, les Maures les employèrent à vider complètement la Santa-Maria et même à démonter du navire tout ce qui était démontable. Les morceaux de fer, les outils, les vis, les boulons constituaient pour eux autant de trésors inappréciables, qui s’élevaient sur la grève en un amas grandissant pour être ultérieurement répartis sur les méhara de la troupe.