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EXCURSION DE PROPORTIONS IMPRÉVUES.

La fièvre le dévore. Son bras est immobilisé dans l’enflure de l’épaule. Qu’importe ! il marchera, sur les genoux s’il le faut.

À l’ombre du gommier, au pied duquel il s’est étendu la veille, Robert contraint à la nourriture son estomac révolté. Il faut manger pour être fort, et, fermement, il dévore son dernier morceau de biscuit, il avale sa dernière goutte d’eau.

Désormais, il ne s’arrêtera plus avant d’avoir touché le but.

Il est deux heures de l’après-midi. Parti à six heures du matin, Robert poursuit sans trêve son interminable chemin. Depuis longtemps déjà, il comprend qu’il se traîne, et qu’il gagne à peine un kilomètre par heure. N importe ! il va toujours, ayant résolu de lutter tant qu’il lui resterait un souffle de vie.

Mais, voici que la lutte devient impossible. Les yeux du malheureux papillotent, et tout un kaléidoscope danse devant ses prunelles dilatées. Les pulsations de son cœur diminuent de force et s’espacent. L’air manque à sa poitrine. Robert peu à peu se sent glisser le long du gommier contre lequel il s’est désespérément appuyé.

À ce moment — c’est une hallucination de la fièvre sans doute — il croit voir passer sous le couvert une troupe nombreuse. Les fusils brillent. La blancheur des casques de liège renvoie les rayons du soleil.

« À moi ! À moi ! crie Robert.

Hélas ! la voix même lui manque. Si la troupe qu’il se figure apercevoir existe, nul ne l’entend de ceux qui la composent et qui poursuivent imperturbablement leur chemin.

— À moi ! » murmure encore Robert, qui s’écroule enfin sur le sol, définitivement vaincu.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce moment où Robert succombait ainsi sur la dévorante terre d’Afrique était précisément celui qu’il avait, en partant, fixé pour son retour. Les naufragés n’avaient pas oublié le rendez-vous qu’il leur avait donné, et ils comptaient les heures en attendant le salut.