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OÙ L’ON NE FAIT QUE CHANGER DE GEÔLIERS.

ajouter leur cruauté à celle de la nature. Le long de ces plages inhospitalières, rôdent des bandes de Maures dont la rencontre est pire que celle des animaux féroces.

Il importait donc de savoir à quelle distance d’un pays civilisé le vent avait porté la Santa-Maria. De cette question dépendait la perte ou le salut des naufragés.

Pour en trouver la solution, il fallait que le capitaine procédât à des observations solaires. Et n’était-il pas à craindre que le soleil restât caché derrière un rideau de nuages ?

Fort heureusement, l’ouragan continuait à décroître et le ciel se fit plus pur d’heure en heure. À neuf heures, le capitaine réussit à prendre une bonne observation et une seconde à midi.

Le résultat de ses calculs fut immédiatement porté à la connaissance de tous, et les passagers apprirent ainsi que la Santa-Maria était venue se briser un peu au sud du cap Mirik, par 18° 37′ de longitude Ouest et 19° 15′ de latitude Nord, à plus de trois cent quarante kilomètres de la rive septentrionale du Sénégal !

La foudre en tombant n’eût pas produit plus de stupeur. Pendant cinq minutes, un silence pesant écrasa le groupe des naufrages. Les femmes ne poussèrent pas un cri. Anéanties, elles reportaient leurs regards vers les hommes, desquels, pères, frères ou maris, elles attendaient un espoir de salut.

Mais le mot d’espoir ne venait pas. La situation était trop claire dans sa dramatique simplicité pour que personne pût s’illusionner sur le sort qui lui était réservé. Trois cent quarante kilomètres à franchir ! Il y faudrait au moins dix-sept jours, en admettant qu’une caravane dans la composition de laquelle entraient des femmes, des enfants et des malades fît quotidiennement vingt kilomètres sur ce sol de sable. Or, était-il probable que l’on pût, sans fâcheuse rencontre, suivre pendant dix-sept jours un littoral d’ordinaire sillonné par tant de bandes de maraudeurs ?

Au milieu de la désolation générale, quelqu’un dit tout à coup :

« Où cent personnes ne passent pas, un homme passe.