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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Le capitaine Pip conservait la plénitude de la sienne.

Ferme à son poste, il surveillait son navire, et sa main n’avait pas lâché la barre, à laquelle il se cramponnait dans ce désordre des éléments. Homme, si petit au milieu de la fureur grandiose de la nature, son âme la dominait encore, et c’est sa volonté souveraine qui guidait vers la mort son navire révolté. Rien n’échappa à son regard, qu’aucun strabisme n’affaiblissait à cette heure. Il vit la vague frapper les récifs, s’écraser contre eux, se recourber en une volute immense et monter à l’assaut du rivage, tandis que les cataractes du ciel, s’ouvrant tout à coup, mêlaient le déluge de leurs eaux à celles de la terre.

Au sommet de la volute d’écume, la Santa-Maria, en brave navire, s’était légèrement enlevée. Avec elle, elle était montée. Avec elle, elle redescendit. Un épouvantable choc l’arrêta dans sa course.

Il y eut un horrible craquement. Tout fut renversé, tout fut brisé à bord. In formidable paquet de mer balaya le pont de bout en bout. Le capitaine, arraché de la barre, fut jeté du haut de la dunette. Les mâts, d’un seul coup, vinrent en bas avec tout leur gréement.

En un instant, la catastrophe était consommée, et la Santa-Maria — ce qui en restait, du moins — demeura immobile dans la nuit, sous la pluie diluvienne, tandis qu’autour d’elle hurlait la tempête renaissante.