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OÙ THOMPSON N’EN A PAS POUR SON ARGENT.

son âme cette côte basse, sablonneuse, limitée à l’arrière-plan par des dunes et défendue par une barrière de récifs.

Tout à coup il se redressa et, ayant craché dans la mer avec violence, formula à l’adresse d’Artimon :

« Dans une demi-heure nous serons au plein, master, mais, par la barbe de ma mère, on se défendra, monsieur !

Puis, Artimon ayant paru approuver vivement, le capitaine commanda dans les hurlements de la mer et du vent :

— La barre à bâbord toute ! À larguer le foc d’artimon, les enfants ! »

L’équipage s’était élancé. Deux minutes plus tard, la Santa-Maria, revenue à l’allure de la cape, s’efforçait péniblement de s’élever de la côte. De nouveau, elle bondissait au-dessus des lames, qui, capelant son gaillard d’avant, déferlaient sur le pont de bout en bout.

Le capitaine jouait là sa dernière carte. Serait-elle bonne, et emporterait-elle le gain de la partie ? On put le croire d’abord.

En effet, peu d’instants après celui où le navire avait cessé de courir vent arrière, le vent et la mer manifestèrent une tendance à s’apaiser. Bientôt, le capitaine fit hisser le grand volant et laissa porter d’un quart. Dans ces conditions, il n’était pas impossible d’arriver à reprendre du champ.

Malheureusement, tombant dans un excès contraire, le vent, tout à l’heure si furieux, ne cessa de mollir par degrés. En quelques heures, la Santa-Maria, effroyablement secouée par la mer encore démontée, se vit immobilisée dans le calme de l’atmosphère que n’agitait plus une risée, plus un souffle.

Le capitaine inféra de ce changement si prompt qu’il se trouvait au centre même de la tempête, et ne douta pas de la voir renaître dans un délai plus ou moins long. En attendant, cette accalmie rendait la voilure inutile. La Santa-Maria ne gouvernait même plus. Ce n’était qu’une épave que la houle portait peu à peu à la terre.