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OÙ THOMPSON N’EN A PAS POUR SON ARGENT.

d’augmenter. Sans nul doute, on avait à lutter contre un de ces cyclones capables de désoler des contrées entières. Avant midi, les lames devenues monstrueuses commencèrent à déferler avec fureur. La Santa-Maria reçut plus d’un paquet de mer dont son coffre fut rempli.

Le capitaine s’entêtait cependant à tenir la cape. Mais, vers sept heures du soir, l’état du vent et des flots s’aggrava dans de telles proportions, la mâture se mit à osciller d’une façon si menaçante, qu’il jugea impossible de conserver cette allure. Comprenant qu’il y aurait eu folie à s’obstiner, il se résolut à fuir vent arrière devant la tempête.

Dans la situation où se trouvait la Santa-Maria, passer de la cape au vent arrière ou réciproquement est toujours une manœuvre délicate. Entre l’instant où le navire présente son étrave aux lames courroucées et celui où il a pris assez de vitesse pour qu’elles glissent sous son couronnement, il en est forcément un où il les reçoit par le flanc. Un navire frappé à ce moment par une lame suffisamment forte serait roulé comme un bouchon. Il importe donc de surveiller la mer et de profiter d’une accalmie. Le choix de la minute propice est du plus haut intérêt. Le capitaine Pip avait pris lui-même la barre, tandis que l’équipage tout entier se tenait prêt à haler sur les bras de bâbord du grand hunier.

« Brasse carré derrière ! commanda le capitaine, choisissant avec tact l’instant favorable et tournant rapidement la roue du gouvernail.

Le navire abattit d’un seul coup sur tribord et tomba dans le lit du vent. Mais tout n’était pas dit encore. Il ne suffit pas qu’un navire présente son arrière aux lames, il faut aussi qu’il ait acquis une vitesse assez grande pour atténuer la violence de leurs assauts.

— Brasse carré devant ! commanda le capitaine dès que le navire fut arrivé. À larguer la misaine !… Cargue le petit foc et le foc d’artimon ! »