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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Ce visage, au total, était une succession de bosses et de vallées. Dieu, qui pétrit les hommes de ses mains, avait évidemment modelé celui-là à coups de poing. Et le résultat, ce mélange de finesse, de malice, de méchanceté, de raideur, n’eût pas été heureux, si, corrigeant le tout, la lumière d’une âme égale et calme n’eût été répandue sur ces traits montueux comme un terrain d’origine volcanique.

Car ce bizarre gentleman était calme à un point inimaginable. Jamais il ne s’emportait, jamais il ne s’échauffait, jamais il n’élevait la voix, sa voix qui n’avait qu’une note, et, comme la basse persistante de certaines pages musicales, ramenait toujours dans le ton une discussion près de s’égarer.

Ce gentleman n’était pas seul sur le spardeck. Il conduisait, il remorquait plutôt une sorte de forteresse ambulante, un homme aussi grand que lui, mais, par exemple, épais et large à proportion, un colosse d’aspect puissant et débonnaire.

Les deux passagers abordèrent Robert Morgand.

« C’est à monsieur le professeur Robert Morgand que nous avons l’avantage de parler ? demanda le premier d’une voix aussi harmonieuse que s’il eût mâché des cailloux.

— Oui, monsieur, répondit machinalement Robert.

— Cicérone-interprète à bord de ce navire ?

— En effet.

— Enchanté, monsieur le professeur, affirma avec une froideur glaciale le gentleman en frisant la pointe de ses favoris d’un si beau roux. Je suis, moi, M. Saunders, passager.

Robert salua légèrement.

— Maintenant que tout est en règle, permettez-moi, monsieur le Professeur, de vous présenter M. Van Piperboom, de Rotterdam, dont la vue m’a paru singulièrement troubler votre administrateur, M. Thompson.

En entendant son nom, M. Van Piperboom dessina une gracieuse révérence.

Robert regarda son interlocuteur avec un certain étonnement.