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UN ACCIDENT QUI ARRIVE À POINT.

Il connaissait mal son ennemi. Saunders le suivit pas à pas sur le spardeck où il s’était réfugié, et, derrière Saunders, tous les passagers sans exception, les uns irrités, les autres seulement amusés, comme Roger et les Américaines, mais tous, au demeurant, approuvant l’esprit sinon la forme de la diatribe de Saunders.

— Oui, monsieur, reprit ce dernier, en cernant dans un coin le malheureux Administrateur Général, et en lui mettant son carnet sous le nez, nous les retrouverons à Londres, vos engagements, et les tribunaux estimeront à leur valeur vos excellentes plaisanteries. J’établirai mon compte. Je prouverai que vous m’avez contraint par votre ladrerie à dépenser de ma poche, en sus du prix de ma place, une somme totale de vingt-sept livres sterling neuf shellings et cinq pence six cent quatre-vingt la noyade de Mrs. Lindsay, l’avalanche de Saint-Michel, le déjeuner de Horta, le rhumatisme de sir Hamilton, le lumbago de Mr. Blockhead…

— Permettez ! permettez ! réclama faiblement Blockhead.

— … et les hôtels infects, et toutes nos excursions, toutes nos promenades si bien organisées, sans oublier la dernière, cette ascension insensée au pic de Ténériffe, dont la plupart de vos passagers sont revenus malades, et dont les plus persévérants n’ont rapporté que des puces !

— Bravo, bravo ! crièrent tous les auditeurs d’une voix étranglée par un rire de vengeance.

— Parfaitement, monsieur, continua Saunders lancé à fond de train, je ferai tout cela. Mais, en attendant, je ne vous mâcherai pas la vérité : nous avons été volés, monsieur, je ne vous l’envoie pas dire.

La scène prenait décidément une mauvaise tournure. À la violence de son adversaire, aux mots employés, Thompson comprit qu’il se devait de protester. Il protesta.

— En vérité, monsieur, dit-il, voilà qui est intolérable. Puisque