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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Après un court silence, elle reprit d’une voix douce :

— Comment n’aurais-je pas voulu rassurer votre amitié inquiète ? Ma vie n’est-elle pas maintenant un peu votre bien ?

Robert du geste protesta.

— Feriez-vous donc fi de mon amitié ? demanda Alice avec un demi-sourire.

— Amitié bien courte, répondit mélancoliquement Robert. Dans peu de jours désormais le navire qui nous porte sera mouillé dans la Tamise, et chacun de nous suivra son destin.

— Il est vrai, dit Alice émue. Nos existences se sépareront peut-être, mais il nous restera le souvenir.

— Il s’effacera si vite dans le brouillard du temps !

Alice, le regard perdu vers l’horizon, laissa d’abord tomber l’exclamation désenchantée sans y répondre.

— Il faut que la vie ait été pour vous bien cruelle, fit-elle enfin, si vos paroles traduisent fidèlement votre pensée. Êtes-vous donc seul dans l’humanité, pour avoir en elle si peu de confiance ? N’avez-vous pas de parents ?

Robert secoua négativement la tête.

— D’amis ?

— J’en avais autrefois, répondit Robert avec amertume.

— Et aujourd’hui n’en avez-vous plus ? objecta Alice. Seriez-vous donc vraiment assez aveugle pour refuser ce titre à M. de Sorgues, sans parler de ma sœur et de moi ?

— Vous, madame ! s’écria Robert d’une voix étouffée.

— Il est certain, en tous cas, poursuivit Alice, en négligeant l’interruption, que vous n’êtes pas encourageant pour l’amitié qui s’offre à vous. J’en suis à me demander si j’ai été coupable en quelque manière à votre égard.

— Comment pourriez-vous l’être ? interrogea Robert sincèrement surpris.

— Je l’ignore, répondit Alice. Mais il est évident que, depuis l’événement que je rappelais tout à l’heure, vous vous êtes éloigné de nous. Ma sœur et moi, nous nous en étonnons, et