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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

cris d’angoisse, se cramponnait au cou de son cheval emballé par les clameurs des nègres.

À ces cris, les moricauds répondirent par des exclamations de terreur. Le cheval affolé galopait, bondissait, piétinant tout ce qui se trouvait sur son passage. En un instant, la route fut libre. Cherchant un refuge au fond de leurs demeures, tous, les nègres valides avaient fui devant ce foudre de guerre.

Pas tous, cependant. L’un d’eux était resté.

Seul, au milieu du chemin, celui-là, un vrai géant à la carrure herculéenne, semblait mépriser la panique de ses concitoyens. Bien planté sur ses jambes en face de Robert, il brandissait avec orgueil une sorte de fusil démodé, quelque tromblon espagnol, que, depuis un quart d’heure, il remplissait de poudre jusqu’à la gueule.

Cette arme, qui, sans aucun doute, allait éclater entre ses mains, le nègre l’épaula et la dirigea vers Robert.

Roger, suivi de tous ses compagnons, s’était élancé dans l’espace déblayé par la brillante fantasia de l’estimable épicier honoraire. Arriverait-il à temps pour arrêter le coup prêt à partir ?

Fort heureusement, un héros le devançait : Mr. Absyrthus Blockhead, et son cheval enivré de liberté !

Tout à coup, celui-ci se trouva à deux pas du géant nègre absorbé dans le maniement inhabituel de son antique engin. Cet obstacle imprévu intimida le cheval emballé, qui, se calant au sol par ses quatre fers, pointa rageusement et s’arrêta net sur place.

Mr. Absyrthus Blockhead, au contraire, continua sa course. Emporté par son ardeur, et un peu aussi, il faut le reconnaître, par la vitesse acquise, il franchit l’encolure de son noble coursier, et, décrivant une courbe harmonieuse et savante, vint, à l’instar d’un obus, frapper le nègre en pleine poitrine.

Projectile et bombardé roulèrent de conserve sur le sol.

Au même instant, Roger et tous ses compagnons parvenaient sur le lieu de ce mémorable combat.