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LA DEUXIÈME DENT DE L’ENGRENAGE.

Le village, évidemment, était en ébullition. Pour quelle cause ? Les touristes ne songeaient pas à se le demander. Leur attention tout entière était confisquée par le spectacle imprévu qui s’offrait à leurs yeux.

À moins de cinquante mètres, ils apercevaient Robert Morgand, vers lequel la colère générale semblait converger. Robert avait mis pied à terre. Adossé à l’une des murailles transformée en ruche humaine, il se défendait de son mieux, en se faisant un rempart de son cheval. L’animal énervé se démenait avec fureur, et les ruades qu’il lançait de tous côtés maintenaient libre un large espace autour de son maître.

Il ne semblait pas que les nègres possédassent d’armes à feu. Néanmoins, quand les touristes arrivèrent sur le théâtre de la lutte, celle-ci touchait à sa conclusion. Robert Morgand faiblissait visiblement. Après avoir déchargé son revolver et s’être ainsi débarrassé de deux nègres qui demeuraient étendus sur le sol, il ne possédait plus comme arme défensive que sa cravache, dont le lourd pommeau jusqu’ici avait suffi à le sauvegarder. Mais, assailli de trois côtés à la fois, lapidé avec frénésie par une tourbe d’hommes, de femmes et d’enfants, il était douteux qu’il pût résister longtemps. Déjà plus d’une pierre bien lancée avait atteint le but. Le sang coulait de son front.

L’arrivée des touristes, il est vrai, lui apportait un secours, mais non le salut. Entre ceux-ci et Robert, en effet, plusieurs centaines de nègres s’interposaient, criant, hurlant, avec tant d’animation qu’ils ne s’étaient même pas aperçus de la présence des nouveaux venus.

Roger allait, comme au régiment, commander la charge a tous risques. Un de ses compagnons le prévint.

Tout à coup, parti des derniers rangs des excursionnistes, un cavalier s’élança en tempête, et tomba comme la foudre sur les nègres entassés.

Au passage, les touristes avaient pu reconnaître avec stupéfaction Mr. Blockhead, qui, pâle, livide, poussant de lamentables