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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

C’était ce brouillard sans doute qui lui paralysait ainsi l’âme. Ce nuage opaque l’étouffait, l’enserrait connue des murs de prison.

Et il demeurait immobile, éperdu de solitude, tandis que, du pont, des quais, de Londres tout entière, parvenait jusqu’à lui, comme dans un rêve, l’incessant frémissement de l’universelle vie, de la vie d’êtres invisibles avec lesquels il n’avait et n’aurait jamais rien de commun.

Cependant le navire s’était éveillé. Les capots du salon rayonnaient dans la brume. Le pont peu à peu s’emplissait de bruit. Certains demandaient leur cabine, et on ne les voyait pas. Des matelots passaient qu’on distinguait à peine.

À sept heures, quelqu’un dans le coffee-room demanda un grog en criant. Quelques instant après, coupant un bref moment de silence, une voix sèche et hautaine s’éleva nettement du pont :

« Je crois vous avoir prié pourtant de faire attention ! »

Robert se pencha. Une ombre longue et mince, et, derrière celle-là, deux autres à peine visibles, des femmes peut-être.

Juste à ce moment, la brume se déchira, refoulée pour une seconde par un groupe plus nombreux. Robert reconnut avec certitude trois femmes et un homme, s’avançant rapidement sous l’escorte de Thompson et de quatre marins chargés de bagages.

Il se pencha davantage. Mais le rideau de brume se reformait déjà, épais, impénétrable. Les inconnues disparurent, inconnues.

La moitié du corps hors de la bataviole, Robert restait les yeux grands ouverts sur cette ombre. Pas un seul de tous ces gens pour lequel il fût quelque chose !

Et demain, qu’allait-il être pour eux ? Une sorte de factotum, presque un domestique temporaire. Celui qui fait prix avec le cocher et ne paye pas la voiture. Celui qui retient la chambre et ne l’occupe pas ; qui discute avec l’hôtelier, et réclame pour des repas étrangers. En cet instant, il regretta cruellement sa décision, et son cœur s’emplit d’amertume.

La nuit venait, ajoutant sa tristesse à celle de la brume. Les feux des navires restaient invisibles, invisibles les lumières de