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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

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mouvement séparatiste qui les avait suivies, estimant que cela, en somme, ne le concernait pas, quel poids, par contre, n’avait-il pas trouvé à l’observation de Mrs. Lindsay ! L’offre obligeante avait jailli toute seule de ses lèvres. Il fut sur-le-champ payé de sa bonne pensée. Sans marchander le secours offert, Mrs. Lindsay l’accepta charitablement comme une chose due.

— Si vous vouliez avoir cette bonté, dit-elle en payant d’avance d’un sourire le bénévole commissionnaire.

Robert allait partir, quand une nouvelle demande l’arrêta.

— Puisque monsieur le Professeur va jusqu’à la ville, disait lady Heilbuth, ne voudrait-il pas avoir la complaisance de me procurer également une voiture ?

Malgré la forme polie de la requête, Robert ne se priva pas de penser que lady Heilbuth aurait bien pu faire marcher à son service le grand flandrin de laquais qui, derrière elle, tenait dans ses bras un havanais actuellement promu au rang de favori. Toutefois, s’inclinant avec respect devant la vieille passagère, il l’assura qu’il était entièrement à ses ordres.

Il fut aussitôt dans le cas de regretter la politesse de sa réponse. Tous s’étaient mis à parler à la fois et, à grand renfort de gestes, tous le chargeaient de leur rendre le même service offert à Mrs. Lindsay et accordé à lady Heilbuth.

Robert esquissa une grimace. Se faire le courrier de Mis. Lindsay, c’était un plaisir ; se charger des commissions de lady Heilbuth, passe encore ! Mais se voir accablé des corvées de tout le monde, cela changeait singulièrement la question. Il ne pouvait refuser cependant. Roger de Sorgues vint généreusement à son secours.

— J’irai avec vous, cher ami, lui cria-t-il. Et nous ramènerons toutes les voitures de la ville. »

Ce fut un concert de bravos, tandis que Robert serrait la main de son compatriote, dont il n’était plus à compter les marques de délicate affection.

La route parcourue au pas accéléré, les deux émissaires [n’eurent pas de peine à se procurer des véhicules en nombre suffisant. Ils revenaient dans l’un d’eux, lorsque à mi-route ils croisèrent Thompson à la tête d’une misérable colonne composée d’à peine quinze soldats, les plus pauvres ou les plus avares de son régiment autrefois si fringant. Laissant à son compagnon le soin de parfaire la commission acceptée, Robert se joignit à cette troupe réduite, dans laquelle l’appelait sa fonction.

Dire qu’il était satisfait de cette combinaison serait exagéré. Mais, comme après tout il n’avait pas le choix, il prit, bien que sans enthousiasme, sa place à côté de Thompson, et se mit en tête de la petite colonne.

L’arrivée aux premières maisons de la ville lui réservait une surprise.

Cette surprise, Thompson aussi l’éprouva, quand il eut jeté un regard en arrière. Où était la colonne ? Fondue, dispersée, évanouie. Chaque coude de la route, chaque buisson fleuri, chaque bouquet d’arbres ombreux, avait été le prétexte de quelque défection, et peu à peu les touristes s’étaient égrenés jusqu’au dernier. Il n’y avait plus personne derrière Thompson, personne si ce n’est le monumental Van Piperboom — de Rotterdam — qui s’était placidement arrêté avec son chef et attendait sans impatience.

Robert et Thompson échangèrent un regard non dépourvu d’ironie.

« Mon Dieu, monsieur le Professeur, dit enfin celui-ci avec un sourire rentré, je ne puis, dans ces conditions, que vous rendre votre liberté. Pour moi, qui ne me soucie nullement de Las Palmas, je vais, si vous le permettez, retourner tout bonnement à bord. »

Et Thompson rebroussa chemin, obstinément suivi de l’impénétrable Hollandais qui, évidemment, ne se souciait pas non plus de Las Palmas.

Robert, égayé, rêvait encore à cette aventure, quand il s’entendit héler par une voix joyeuse.[1]

  1. Note de Wikisource : Une page du roman, absente du fac-similé Gallica de cette édition comme signalé dans ce texte de Jean-Claude Bollinger, a été insérée à sa place à partir d’une autre édition disponible dans Gallica.