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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

— Oui, la crainte. L’événement imprévu au cours duquel j’ai été assez heureux pour rendre service à Mrs. Lindsay m’a naturellement relevé à ses yeux…

— Vous n’aviez pas besoin, soyez-en sûr, d’être relevé aux yeux de Mrs. Lindsay, interrompit nettement Roger.

— Cet événement a mis plus d’intimité dans nos rapports, les a rendus moins hiérarchiques, presque amicaux, poursuivit Robert. Mais, en même temps, il m’a permis de voir clair, trop clair en moi-même. Hélas ! aurais-je fait ce que j’ai fait, si je n’avais pas aimé !

Robert se tut un instant. Puis il reprit :

— C’est parce que cette conscience m’est venue que je n’ai pas voulu profiter, et que je ne profiterai pas à l’avenir de ma nouvelle intimité avec Mrs. Lindsay.

— Quel drôle d’amoureux êtes-vous donc ? dit Roger avec une affectueuse ironie.

— C’est pour moi une question d’honneur, répondit Robert. J’ignore quelle est la fortune de Mrs. Lindsay, mais, à ce que je puis croire, elle est considérable, n’en aurais-je pour preuve que certains faits dont j’ai été témoin.

— Quels faits ? demanda Roger.

— Il ne saurait me convenir, poursuivit Robert, sans s’expliquer davantage, de passer, moi aussi, pour un courtisan de la richesse, et ma lamentable situation autoriserait toutes les suppositions à cet égard.

— Voyons, mon cher, objecta Roger, cette délicatesse vous honore, mais avez-vous réfléchi que la rigueur de vos sentiments fait un peu le procès des miens ? Je raisonne moins que vous lorsque je pense à miss Dolly.

— Notre situation n’est pas la même. Vous êtes riche…

— En regard de vous, riposta Roger, mais pauvre en comparaison de miss Dolly. Ma fortune n’est rien, à côté de la sienne.

— Elle suffit du moins à garantir votre indépendance, dit Robert. Et d’ailleurs, miss Dolly vous aime, c’est l’évidence même.