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LE SECOND SECRET DE ROBERT MORGAND.

n’eusse deviné — ont été tels que tout homme d’honneur doit s’estimer fier d’épouser miss Dolly… ou sa sœur, ajouta-t-il après une pause.

Robert soupira légèrement sans répondre.

— Vous voilà devenu bien silencieux, mon cher ! reprit Roger après un moment de silence. Auriez-vous donc à formuler des objections telles…

— Rien que des encouragements au contraire ! s’écria vivement Robert. Miss Dolly est charmante et vous êtes un heureux. Mais, en vous écoulant, j’ai eu, je l’avoue, l’égoïsme de faire un retour sur moi-même, et un moment je vous ai jalousé. Pardonnez-moi ce blâmable sentiment.

— Jalousé ! Et pourquoi donc ? Quelle femme aurait le mauvais goût de refuser M. le marquis de Gramond…

— …Cicérone-interprète à bord du Seamew, et possesseur de cent cinquante francs, bien problématiques pour qui connaît Thompson, acheva Robert avec amertume.

Roger repoussa l’objection d’un geste insouciant.

— Belle affaire que cela ! souffla-t-il d’un ton léger. L’amour se mesure-t-il aux écus ? On a vu plus d’une fois, et notamment des Américaines…

— Pas un mot de plus ! interrompit Robert d’une voix brève, en saisissant la main de son ami. Aussi bien, confidence pour confidence. Écoutez la mienne, et vous comprendrez que je ne puisse plaisanter sur ce sujet.

— J’écoute, dit Roger.

— Vous me demandiez tout à l’heure si j’avais quelque raison de m’être tenu à l’écart aujourd’hui. Eh bien ! oui, j’en avais une.

— Nous y voilà, pensa Roger.

— Vous pouvez vous laisser aller librement au penchant qui vous entraîne vers miss Dolly. Vous ne le cachez pas, votre bonheur d’aimer. Moi, c’est la crainte d’aimer qui me paralyse.

— La crainte d’aimer ! voilà une crainte que je ne connaîtrai jamais !