Tombé dans le torrent, peu de secondes après Alice, il avait eu le bonheur de l’atteindre aussitôt. Mais, dans ce courant furieux labouré de terribles remous, jamais il n’aurait sauvé, ni Mrs. Lindsay, ni lui-même, sans un arbre énorme tout garni de ses feuilles, qui, arraché aux pentes supérieures de la montagne, passa juste à point pour être transformé en radeau. Dès lors, le rôle de Robert se réduisait à peu de chose. Portés par cet arbre, Mrs. Lindsay et lui étaient à peu près hors de danger. En se servant d’une forte branche en guise de gaffe, il avait réussi à pousser vers la rive gauche l’arbre sauveur dont la cime s’agrippa dans le sol. Le reste se comprenait de soi. Avec mille peines, ils étaient arrivés épuisés jusqu’à une chaumière de paysan. De là, sur des hamacs, ils avaient regagné Funchal, puis le Seamew, en temps utile pour rassurer leurs compagnons.
Tel fut le récit de Robert. À satiété, Dolly se le fit répéter, voulant en connaître jusqu’au plus intime détail. La cloche du dîner la surprit au milieu de ce bonheur. Pour elle, la journée s’était écoulée comme un rêve.
Les autres passagers n’auraient pu malheureusement en dire autant. La tristesse planait toujours sur le navire, changeant les minutes en heures, les heures en siècles. Si les trois causeurs absorbés ne s’en étaient pas aperçus, le dîner les renseigna forcément. Silencieuse, cette table du soir, comme celle du matin On s’ennuyait, cela crevait les yeux, sauf peut-être les insatiables Johnson et Piperboom. Ceux-là pouvaient-ils s’ennuyer jamais, l’un insaturable éponge, l’autre abîme sans fond appréciable ?
Piperboom, comme de coutume, allait tout à l’heure fumer paisiblement sa pipe, dont les nuages emporteraient avec eux les misérables soucis des hommes. Pour le moment, indifférent à la diverse qualité des nourritures, il les engloutissait simplement, car telle était sa fonction ici-bas.
Digne pendant de cette prodigieuse machine à digérer, Johnson, à l’autre bout de la table, asséchait des flacons variés de