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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

C’est pourquoi, quand, le 1er juin, arriva le moment du départ, Thompson se vit seul à la coupée. Pas tout à fait, pourtant. Un compagnon lui restait, sous les espèces de Van Piperboom, de Rotterdam, dont l’oreille demeurait fermée, et pour cause, à toutes les excitations extérieures.

Sur celui-là, la propagande révolutionnaire n’avait aucune prise. Il persistait imperturbablement à s’attacher aux pas du seul de ses compagnons dont il connût le caractère officiel, et Thompson devenait doucement le cornac de cet éléphant des passagers.

Pendant ces trois jours, il ne l’avait pas quitte d’une semelle. Où Thompson était allé, Piperboom l’avait suivi. Et maintenant, il était encore là, dernier fidèle du chef abandonné par ses soldats.

En voyant « sa suite » réduite à une seule unité, Thompson, en dépit de son ordinaire aplomb, demeura perplexe au moment de quitter le navire. Que devait-il faire ? Il crut entendre Hamilton et Saunders lui répondre : « Le programme, monsieur, le programme », et, obéissant aux ordres supposés de ces terribles ergoteurs, il descendait la première marche de l’escalier, quand des rumeurs violentes éclatèrent parmi les passagers réunis sur le spardeck.

De nouveau indécis, Thompson s’arrêta. En un instant, vingt visages irrités l’entourèrent.

L’un des passagers se fit l’orateur de ses compagnons.

« Ainsi, monsieur, dit-il en s’efforçant de garder son calme, vous allez à Funchal aujourd’hui.

— Mais certainement, monsieur, répondit Thompson en prenant un air innocent.

— Et demain ? Après-demain ?

— Il en sera de même.

— Eh bien ! monsieur, formula le passager en grossissant sa voix malgré lui, je me permets de vous informer que nous trouvons cela monotone.