Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/251

Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
LE CURRAL DAS FREIAS.

Le temps depuis la veille s’était profondément modifié. Plus de leste, il est vrai, mais plus de ciel bleu. Fait assez rare à Madère, le vent poussait de gros nuages qui encombraient les basses zones de l’atmosphère. Les touristes n’avaient pas escaladé deux cents mètres, qu’ils entraient dans un opaque brouillard permettant tout juste d’apercevoir la route assez raboteuse. En outre, l’air était saturé d’un excès d’électricité ; un orage menaçait. Bêtes et gens souffraient de cette tension électrique. Ceux-ci, taciturnes, ne profitaient pas des facilités que le nouveau mode de locomotion apportait à la causerie. Celles-là, tête basse, naseaux sifflants, montaient d’un effort pénible, le poil déjà perlé de sueur.

Mais, deux heures après le départ, les ascensionnistes, parvenus à la passe de l’Encuemada, émergèrent tout à coup du brouillard. Au-dessous d’eux, les nuages, poussés par une brise lente, se déchiquetaient toujours aux arêtes des montagnes ; mais, au-dessus de leurs têtes, l’azur s’enfonçait libre de vapeurs, tandis que leurs regards s’élançaient au Nord et au Sud jusqu’aux flots lointains de la mer.

L’air était vif à cette hauteur. Porteurs et portés ressentirent la bienfaisante influence du changement de température. Malheureusement, la route, se faisant sentier, s’opposait à son tour aux cordiales chevauchées.

À la passe de l’Encuemada, commençait pour les touristes la descente du versant sud de l’ile. Tout d’abord, ils durent longer l’interminable falaise en demi-cercle de la « Rocha-Atta ». Tout à fait rétréci, le chemin longeait une gorge abrupte au fond de laquelle coulait un torrent étrangement diminué par la distance. Pendant une heure et demie, il fallut s’avancer ainsi, la falaise d’un côté, le vide de l’autre. Malgré l’aide des arrieros, cette partie du chemin commençait à sembler bien longue aux excursionnistes, quand, au sortir d’un couloir étroit, la falaise se termina subitement, tandis que le sentier, redevenant route, obliquait sur la droite.