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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

le carro s’avance avec une sage lenteur, conduit par un homme et précédé par un enfant qui fait l’office de postillon.

« Deux grands bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent… commença Roger, en arrangeant le vers connu de Boileau.

— Promènent dans Funchal cet English indolent, » acheva Robert en complétant la mutilation.

Peu à peu, cependant, le caractère de la ville changeait. Les magasins se faisaient moins nombreux, les rues plus étroites et plus tortueuses, les pavés plus irréconciliables. En même temps, la montée s’accentuait. On arrivait dans les quartiers pauvres, dont les maisons, adossées au rocher, laissaient voir par leurs fenêtres ouvertes leur misérable mobilier. Elles expliquaient, ces sombres et humides demeures, pourquoi la population de l’île est décimée par des maladies qui devraient être inconnues sous cet heureux climat : la scrofule, la lèpre, sans compter la phtisie, que des Anglais, venus pour s’en guérir, ont acclimatée.

Les porteurs de hamac ne se rebutaient pas de la raideur de la pente. D’un pas égal, sûr et fort, ils continuaient leur marche, échangeant des bonjours au passage.

Plus de carros dans ces raidillons. Sorte de traîneau admirablement adapté à ces pentes de montagne, le « carrhino » les remplaçait. À chaque instant, on en voyait passer, glissant à toute vitesse, et dirigés par deux hommes robustes, au moyen de cordes fixées à l’avant du véhicule.

Les dames mirent pied à terre devant le couvent des Franciscains, presque en haut de la montée. La « curiosité » annoncée consistait en une vaste pièce servant de chapelle, aux murs incrustés de trois mille crânes humains. Ni leur cicérone, ni leurs guides ne purent, d’ailleurs, expliquer aux voyageurs l’origine de cette bizarrerie.

La « curiosité » suffisamment contemplée, on redescendit la pente, et les deux piétons ne tardèrent pas à demeurer en arrière, incapables de suivre le train sur ce pavé, auquel ils n’épargnaient pas les épithètes désobligeantes.