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LA SOLUTION D’UN ANAGRAMME.

a toujours là un petit moment d’incertitude qui ne manque pas d’un certain charme, si ce n’est peut-être pour les acteurs.

Parvenus à une vingtaine de mètres du galet, les marins qui vous transbordent stoppent et attendent la vague qui doit les conduire jusqu’à terre, au milieu d’un bouillonnement d’écume plus effrayant que dangereux. Les matelots de Madère choisissent le moment psychologique avec une remarquable habileté, et un atterrissage manqué est fort rare.

Il devait pourtant y en avoir un ce jour-là. Arrêtée un peu trop loin du bord, l’une des embarcations n’y fut pas portée entièrement par la vague, qui, en se retirant, la laissa à sec. Ses trois occupants s’empressèrent alors de la quitter, mais, rattrapés à la course par une seconde lame déferlante, ils furent renversés, roulés, trempés, tandis que leur canot se retournait la quille en l’air. Le bain était complet. Ces trois passagers n’avaient rien à envier aux veaux et aux moutons, qui continuaient à pousser leurs cris lamentables.

Et quels étaient ces trois passagers ? Ni plus ni moins que Mr. Edward Tigg, Mr. Absyrthus Blockhead et le baronnet sir George Hamilton. Dans le désordre du départ, ils s’étaient trouvés réunis, juste pour faire de compagnie connaissance avec Madère de cette manière originale.

Les trois baigneurs involontaires prirent l’aventure de façons fort différentes.

Tigg flegmatiquement. Dès que la vague l’eut laissé à sec, il se secoua philosophiquement, et s’éloigna d’un pas tranquille hors d’une nouvelle atteinte du perfide élément. Entendit-il seulement le cri que poussèrent miss Mary et miss Bess Blockhead ? S’il l’entendit, il jugea modestement que crier est naturel, quand on voit bouler son père comme un simple galet.

Quant à ce père, il exultait. On riait autour de lui, mais il riait bien davantage. Avoir frisé la noyade, cela le mettait aux anges. Il fallut que les marins maladroits, causes du mal, l’entraînassent, sans quoi, dans son ravissement, il aurait attendu une seconde