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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

un instant, je l’avoue. Au lieu de faire tête à l’orage, de rester à Paris, et d’user de mes relations, j’ai ressenti une sotte honte de ma nouvelle condition. Résolu à disparaître, j’ai changé de nom et me suis embarque pour Londres, où j’eus bientôt épuisé mes dernières ressources. Par chance, j’ai décroché une place de professeur, et je commençais à me remettre de la secousse, à ébaucher des projets, comme par exemple celui d’aller chercher fortune dans quelque colonie française, quand je retombai de nouveau sur le pavé. Je dus sauter sur la première occasion. Cette occasion s’est appelée Thompson. Voilà mon histoire en peu de mots.

— Elle n’est pas gaie, déclara Roger. Mais ne m’avez-vous pas dit que vous aviez changé de nom ?

— Il est vrai.

— Et votre nom véritable ? Au point où nous en sommes, y aurait-il indiscrétion ?…

Robert sourit avec un peu d’amertume.

— Mon Dieu, j’en ai tant dit !… Je vous demande seulement le secret pour ne pas faire de moi la fable du bord. Et d’ailleurs, je vous l’ai avoué, c’est par un amour-propre que je juge sot à cette heure, que je me suis permis ce ridicule baptême. Je ne voulais pas livrer mon vrai nom à des railleries. Il me semblait déchoir. Quelles sottises ! Alors, je me suis amusé à inventer quelque nom nouveau, et je n’ai rien trouvé de mieux que de faire puérilement l’anagramme du mien.

— Ainsi, dans Morgand ?…

— Dans Morgand, il y a Gramond. Ajoutez-y une particule qui m’est fort utile en ce moment, et un titre de marquis qui me rend incontestablement de grands services, et vous connaîtrez ma personnalité complète.

Roger avait poussé une exclamation.

— Parbleu ! s’écria-t-il, je savais bien que je vous connaissais ! Si vous avez quelque mémoire, vous devez vous souvenir que nous nous sommes vus parfois, étant enfants. J’ai eu l’honneur