Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
207
LA SOLUTION D’UN ANAGRAMME.

que je l’avais deviné. Un homme bien élevé en reconnaîtrait un autre sous la couche de charbon d’un chauffeur. Mais, maintenant que vous les avez commencées, j’espère que vous allez continuer vos confidences. Comment avez-vous pu être conduit à accepter cette situation ?

Robert soupira.

— Serait-ce ?… insinua son compagnon.

— Serait-ce ?…

— L’amour !

— Non, dit Robert. La pauvreté.

Roger s’arrêta sur place et prit dans la sienne la main de son compatriote. Ce geste cordial alla au cœur de Robert et l’émut assez pour qu’il se livrât sans difficulté dès que l’autre reprit :

— La pauvreté !… Voyons, mon cher, contez-moi ça. Raconter son mal est, dit-on, un soulagement, et vous ne trouverez jamais auditeur plus sympathique. Vos parents ?

— Morts.

— Tous les deux ?

— Tous les deux. Ma mère, lorsque j’avais quinze ans ; mon père, il y a six mois. Jusqu’à cette époque, j’avais vécu la vie que mènent tous les jeunes gens riches, très riches même, et c’est seulement depuis la mort de mon père…

— Oui, je comprends, dit Roger d’un ton de profonde sympathie. Votre père était un de ces mondains, un de ces viveurs…

— Je ne l’accuse pas ! interrompit vivement Robert. Tout le temps de sa vie, il s’est montré bon pour moi. Main et cœur ouverts toujours. Pour le reste, il était bien libre d’organiser son existence à sa manière. Quoi qu’il en soit, je me suis vu en quelques jours littéralement sans un sou. Tout ce que je possédais, aux mains des créanciers de la succession, deux semaines après la mort de mon père il ne me restait à peu près rien. Il m’a bien fallu alors songer à gagner mon pain. Malheureusement, peu accoutumé aux difficultés d’une pareille vie, j’ai perdu pied