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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

— Ce que je dis, parbleu !

Robert, un peu désorienté, ne répondit pas. Quelque chose d’amical dans la voix de son interlocuteur perçait sous l’ironie des paroles. Il demeurait dans l’incertitude. Il fut rapidement fixé. À sa grande surprise, Roger, le prenant par le bras avec une familiarité imprévue, lui dit à brûle-pourpoint :

— Allons, mon cher, avouez-le ! Vous êtes interprète comme je suis pape !

— J’avoue ne pas comprendre… se défendit Robert.

— Je me comprends, moi, repartit Roger. Ça suffit. Évidemment, vous êtes interprète actuellement, c’est clair, à peu près comme je suis marin. Mais quant à l’être de profession !… Ai-je l’air d’un curé, moi ?… En tous cas, mon cher, si interprète vous êtes, il faut avouer que vous n’en êtes pas un fameux !

— Mais… protesta Robert en ébauchant un demi-sourire

— Parfaitement, affirma Roger avec énergie. Vous le faites très mal, votre métier. Vous ne dirigez pas, on vous dirige. Ai-je jamais rien que quelques mots tout secs appris d’avance dans un guide quelconque. Si c’est là un cicérone !…

— Mais enfin… répéta Robert.

Roger de nouveau lui coupa la parole. Un bon sourire sur les lèvres, la main tendue, il s’était planté en face de lui, et il disait :

— Ne vous entêtez donc pas dans un incognito percé à jour. Professeur comme ma canne, cicérone comme mon cigare, vous êtes déguisé, mon cher, avouez-le.

— Déguisé ? répéta Robert.

— Eh oui, vous êtes entré dans la peau d’un cicérone-interprète comme on revêt un habit d’emprunt.

Robert tressaillit. Que sa résolution eût été bonne, il ne pouvait en douter. Mais allait-il, par obstination d’orgueil, refuser dans son isolement l’amitié qui s’offrait à lui avec tant de confiance ?

— C’est vrai, dit-il.

— Parbleu ! fit tranquillement Roger en lui serrant la main, et en l’entraînant dans une amicale promenade. Il y a longtemps