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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

lations dont elle est tourmentée, l’île est d’aspect doux et tendre. Un incomparable manteau de verdure, adoucissant les angles trop aigus, arrondissant les cimes trop pointues, tombe en cascades jusqu’au bord extrême des falaises.

En nul autre point du globe, la végétation n’a cette énergie et cette ampleur. À Madère, nos arbustes deviennent des arbres, nos arbres atteignent des proportions colossales. Là, plus encore qu’aux Açores, s’élèvent côte à côte les végétaux des climats les plus divers. Les fleurs et les fruits des cinq parties du monde y prospèrent. Les sentiers sont bordés de roses, et il suffit de se baisser pour cueillir des fraises au milieu des brins d’herbe.

Que devait donc être cette île paradisiaque au moment de sa découverte, quand les arbres, relativement jeunes aujourd’hui, alors plusieurs fois séculaires, surélevaient ses montagnes de leurs frondaisons géantes ! L’île n’était à cette époque qu’une vaste forêt ne laissant pas un pouce de terre à la culture, et le premier gouverneur dut déchaîner l’incendie dans ces fourrés impénétrables. La chronique rapporte que le feu brûla six années consécutives, et l’on prétend que la fécondité du sol provient de ce peut-être nécessaire mais barbare vandalisme.

Par-dessus toute autre cause, c’est à son heureux climat que Madère doit cette luxuriante végétation. Peu de pays, sous ce rapport, peuvent lui être comparés. Moins chaude en été que les Açores, moins froide en hiver, la température de ces deux saisons diffère à peine de dix degrés centigrades. C’est le paradis des malades.

Aussi viennent-ils en rangs pressés au commencement de chaque hiver, les malades anglais surtout, demander la santé à ce ciel de miel et d’azur. De ce chef, une somme annuelle de trois millions de francs reste entre les mains des Madériens, tandis que les tombes creusées pour ceux qui ne repartiront pas font de Madère, selon une énergique expression, « le plus grand des cimetières de Londres ».