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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Les touristes, cœurs serrés, bouches closes, mains étreintes, de toute leur âme regardaient.

Le météore passa.

Du premier choc, le rocher protecteur fut emporté. Perdu dans le tourbillon, il devint l’un des projectiles avec lesquels la montagne bombardait la vallée. Désormais, rien ne défendait plus les voyageurs, et le troupeau déchaîné des rocs roula en tempête à quelques pouces de leurs poitrines désarmées.

En vingt secondes, tout fut terminé. Mais depuis longtemps la nature avait retrouvé son calme immense, que pas un geste n’avait encore rompu la raide immobilité des spectateurs épouvantés du cataclysme. Les uns couchés au bas de la formidable muraille de rochers, les autres debout, les bras en croix, le dos appliqué contre elle, en un surhumain effort pour diminuer l’épaisseur de leur corps, la vie semblait les avoir abandonnés.

La première qui reprit possession du réel fut Alice Lindsay. Tout à coup, elle se vit blottie dans une anfractuosité des rochers. Comment était-elle venue là ? Qui l’y avait portée ? Son beau-frère ? N’était-ce pas plutôt Robert, qui, sans même en avoir conscience, continuait à la protéger en la couvrant de son corps ?

« Voilà déjà deux fois, si l’on compte l’émeute de Tercère, que je vous dois de la reconnaissance, lui dit-elle en se dégageant.

Robert n’eut pas l’air de comprendre.

— Vraiment, madame, vous ne m’en devez pas plus qu’à tout autre que le hasard dans ces deux circonstances aurait placé près de vous. »

Le mouvement d’Alice avait rompu le charme qui paralysait ses compagnons. Tous se secouèrent, s’ébrouèrent, et peu à peu les cœurs recommencèrent leur battement régulier.

Pour revenir à Ponta-Delgada, il ne pouvait plus être question de sentier. Nivelée par l’assaut furieux des terres et des rochers, la montagne s’abaissait désormais en une pente régulière que parsemaient une infinité de blocs arrêtés dans leur