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LES FÊTES DE LA PENTECÔTE.

Midi ; le fort « Saint-Jean-Baptiste » au Nord. C’est vers le second que le courant drossait doucement le Seamew, l’étrave en avant, quand le coup de sifflet vint donner l’éveil.

— Monsieur, déclara froidement le capitaine, un second coup de sifflet, et je vous fais jeter par-dessus bord.

L’inspecteur comprit au son de la voix que le jeu devenait sérieux, et, la menace lui ayant été fidèlement traduite, il se le tint pour dit.

Depuis qu’on s’était remis au guindeau, la cheminée du Seamew vomissait des torrents de fumée et même des flammes. Ceci entrait dans les plans du capitaine, qui se faisait ainsi une réserve de vapeur qu’il pourrait utiliser plus tard. Et, en effet, déjà les soupapes, bien que surchargées, fusaient avec bruit, tandis que décroissait le panache lumineux de la cheminée. Bientôt il disparut tout à fait.

À ce moment deux coups de canon éclatèrent simultanément, et deux projectiles venus de chacun des deux forts ricochèrent à cinq cents mètres de chaque bord. C’était un avertissement.

Devant cet incident inattendu, Thompson pâlit. Qu’avait donc raconté Don Hygino ?

— Arrêtez ! captain, arrêtez ! cria-t-il d’une voix éperdue.

Et nul ne s’étonnera si plus d’un passager se joignit à cette prière. Toutefois, il y en eut un au moins qui garda un silence héroïque. Et celui-là, ce fut l’estimable épicier honoraire. Il était ému, certes ! Il tremblait même, il faut avoir la franchise de l’avouer. Mais pour rien au monde il n’eût cependant renoncé à la joie d’assister à la première bataille de sa vie. Songez donc ! il n’avait jamais vu ça !

Roger de Sorgues, lui non plus, n’eût pas donné sa place pour un empire. Par une bizarre association d’idées, ces coups de canon évoquaient pour lui le vaudevillesque déjeuner de Fayal, et il s’amusait étrangement.

— Bombardés, maintenant ! songeait-il en se tenant les côtes. C’est un comble, ça !