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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

éprouva quelque crainte, la combustion de sa pipe n’en fut pas troublée un seul instant.

Parvenus au sommet de ce difficile sentier, les touristes débouchèrent dans une nouvelle vallée beaucoup plus large que la précédente et développée en une sorte de plateau entouré de collines. Là, Piperboom changea de fauteuil, afin de laisser aux huit pattes de l’autre un repos mérité.

Quand les voyageurs jetèrent autour d’eux un premier regard, ils purent se croire transportés dans un autre pays. La pauvreté remplaçait l’abondance. Partout les signes de la richesse naturelle et de l’incurie humaine. De tous côtés, une terre fertile que les habitants indolents abandonnaient aux mauvaises herbes. Seuls, quelques champs de lupin, de manioc ou d’ignames, verdoyaient, tôt bornés par la désolation environnante. À des étendues d’herbes folles succédaient des étendues de broussailles, faites de myrtes, de genévriers, de buis, de cèdres rabougris, que le sentier traversait ou contournait. Quelques cabanes, masures plutôt, apparaissaient de loin en loin. Un seul village, encombré de porcs et de chiens au milieu desquels on eut peine à se frayer passage, fut rencontré vers onze heures et demie. Après, ce fut la solitude. Les rares habitants que l’on croisait, des femmes pour la plupart, passaient graves et silencieux, enveloppés dans les plis de leur vaste manteau, le visage caché sous la retombée d’un énorme capuchon. Tout disait la misère de ces îles, dont la vie, en raison du manque de routes, s’est concentrée sur le littoral.

Il était une heure bien sonnée, quand on parvint au point extrême de la Caldeira, à 1021 mètres d’altitude. Exténués, mourants de faim, les voyageurs se répandaient en récriminations. Hamilton et Saunders n’étaient plus seuls à se plaindre du mépris dans lequel on tenait le programme. Les meilleurs estomacs faisant d’ordinaire les meilleurs caractères, rien d’étonnant si les gens habituellement les plus paisibles se montraient à cette heure les plus ardents à protester.