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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

ment remarquer la bonne entente qui n’avait cessé de régner entre les touristes. On se congratulait.

Si la ville de Horta avait déçu dans une certaine mesure, tous étaient d’accord pour reconnaître la splendeur des choses de la nature. Non, personne n’oublierait, ni cette évocation de la Suisse à la Vallée Flamande, ni la richesse de la campagne aux approches de la Ponta Espalamaca, ni ce retour exquis le long de la mer, ou sous l’ombre bienfaisante des grands arbres.

Au milieu de l’allégresse générale, Blockhead renchérissait avec ardeur. À plusieurs reprises, il avait déjà énergiquement déclaré à son voisin qu’il n’avait jamais — jamais, vous entendez bien ! — rien vu de plus beau.

Quant au parti de l’opposition, il était réduit à l’impuissance. L’écrasante majorité de l’Administrateur Général contraignait Hamilton et Saunders au silence.

Ce dernier semblait d’humeur particulièrement farouche. Pourquoi ? Était-il réellement d’une si méchante nature que la joie des autres fût pour lui une blessure ? Ou bien, son amour-propre souffrait-il d’une plaie secrète sur laquelle le contentement général eût coulé comme du plomb fondu ? En vérité on eût pu le croire, en l’entendant bougonner les épithètes méprisantes qu’il appliquait furieusement à ses compagnons, dont la satisfaction permettait de présager l’éclatante réussite du voyage entrepris. Il n’y put tenir, et, quittant la table, il monta promener ses aigres pensées sur le spardeck.

Le grand air peu à peu fit l’apaisement dans son cœur ulcéré. Sur ses lèvres minces comme le bord d’une coupure, un sourire naquit. Il haussa les épaules.

« Oui, oui, murmurait-il, c’est la lune de miel !… »

Et, s’étendant dans un rocking-chair, il contempla paisiblement le ciel étoilé, dans lequel, il en était sûr, naîtrait à son heure la lune rousse.